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9e Compagnie (La) / Le 9e Escadron
(9ая Рота)

Film de fiction, Russie-Ukraine, 2005, de Fiodor Bondartchouk, en couleur, sonore.

Production : Russie-Ukraine, 2005

Durée : 126 minutes.

Version originale : russe

Sous-titres : français

Résumé :

L'action se déroule en 1988. L'URSS a envahi l'Afghanistan depuis décembre 1979. Des jeunes recrues de Krasnoïarsk  (Sibérie) s'engagent volontairement comme parachutistes  pour aller combattre en Afghanistan pendant deux ans. Le programme débute par trois mois d'entraînement militaire dans la vallée de la Ferghana, en Ouzbékistan, sous le commandement brutal et primaire d'un instructeur qui ne cesse de marteler : "Ici, vous êtes même pas des hommes, vous êtes de la merde". Cette période occupe exactement la moitié du film. Après de longues semaines d'épreuves, physiques et mentales, vécues en commun, une camaraderie très fort soude l'escadron. Seraient-ce ce sentiment de bravoure, d'amitié virile, de patriotisme, cette veine épique, qui ont tant séduit le public post-soviétique ? Car le film a battu les records du box-office russe avec plus de 5 millions d'entrées en 18 jours  d'exploitation.

La seconde moitié du film se déroule donc en Afghanistan. L'ultime scène de bataille porte sur le dernier jour la guerre, apprend-on après coup, Moscou ayant finalement décidé de se désengager du bourbier afghan. Ce qui signifie que le massacre auquel le spectateur vient d'assister aurait pu être évité. Première ambivalence du cinéaste. La deuxième consiste en ce que La 9e Compagnie est réalisé pendant le déroulement de la deuxième guerre de Tchétchénie. Clin d'œil supplémentaire à la conjoncture : l'une des recrues est tchétchène. De quelle guerre est-il finalement question ? Car si l'objectif assigné dans le film par l'armée soviétique à l'escadron est d' "accomplir une mission humanitaire internationale pour aider le peuple-frère afghan dans sa lutte contre l'agression impérialiste" –, l'opinion personnelle de Bondartchouk n'est pas clairement exprimée. Et on reste dans une ambiguïté encore bien plus grande quant au conflit actuel. Quelle est la  position du jeune Bondartchouk sur cette dernière guerre (de Tchétchénie) ? Flou.

Le cinéaste aurait souhaité à l'origine réaliser une sorte de suite au film Le Destin d'un homme,  tourné pendant le Dégel (1959) par son père, Sergueï Bondartchouk. Soit un film de guerre sur la Tchétchénie intitulé Le Destin d'un homme-2. Se rendant compte que les deux guerres n'avaient rien de comparable (!), Fiodor aurait modifié son projet pour se rapprocher finalement d'un Full Metal Jacket bis. Le jeune réalisateur effectue en effet de nombreux emprunts, dans la construction et le découpage du film, au blockbuster réalisé en 1987 par Stanley Kubrick sur la guerre du Vietnam (sur cette similitude, voir Dawn Seckler, infra). Le budget de la production, 9 M d'US $, colossal pour la Russie de cette période, est également à l'aune américaine.

Mais, contrairement à Kubrick, dont le message est à lire comme une satire au vitriol de la guerre du Vietnam, celui de Bondartchouk est simpliste et manichéen. "La beauté, c'est l'absence de superflu./.../ A la guerre, il n'y a que la vie et la mort. Il n'y a rien de superflu"– telle est la profession de foi du héros principal, Vorobiov ("Moineau"), pourtant plus kul'turnyj que les autres recrues, et  porteur du message de Bondartchouk (le rôle est interprété par le cinéaste en personne). Il semble bien que la portée du film tienne  a minima dans une ardeur nationaliste retrouvée, doublée de la nostalgie de l'empire soviétique déchu. "Malgré la fin tragique de tous les soldats sauf un, le film ne remet pas la guerre en question, ne demande pas si la guerre peut être considérée à juste titre comme une victoire soviétique, ne se pose pas la question de savoir si les jeunes soldats ont perdu leurs vies pour une cause juste" – note Dawn Seckler (ibid.).

 

 

 

 

 

 

Orientations bibliographiques :

1) Sur l'analyse filmique : Tatiana MOSKVINA, "Vsem stojat'!", Iskusstvo kino, 11 (2005), p. 87 ; Jurij KOROTKOV, interview avec Natal'ja BALANDINA, Iskusstvo kino, 11 (2005), p. 87 ; Dawn SECKLER, http://www.kinokultura.com/2006/12r-company9.shtml; On trouvera le scénario du film dans : Iskusstvo kino, 7 ( 2005), p. 143-171 (1e partie), 8 (2005), p. 146-172 (2e p.) ;

2) Sur le traitement de la guerre d'Afghanistan dans le cinéma russe : Denise YOUGBLOOD, Russian War Films: On the Cinema Front, 1914-2005, Lawrence (KS) : UP of Kansas, 2007, 319 p., ch. 9, "After the Fall, 1992-2005" [voir section "Afghanistan and the Chechen Wars", p. 206-218] ;

3) Sur le thème armée/service militaire/nationalisme : Thierry MALLERET, Murielle DELAPORTE, L'armée russe face à la perestroïka, Bruxelles, Complexe, 1990, 303 p. ; Robert BARILSKY, The soldier in Russian politics: duty, dictatorship and democracy under Gorbatchev and Yeltsin, Londres, Transaction Books, 1998 ; Françoise DAUCÉ, L’État, l’armée et le citoyen en Russie post-soviétique, Paris, L’Harmattan, 2001, 299 p.  ; “Russie : l'armée en mutation" (dossier), Courrier des pays de l'Est, n° 1022, février 2002 ; Александр ГОЛЬЦ, Армия России : 11 потерянных лет, М, Захаров, 2004, 222 с. ; К. БАННИКОВ, Антропология экстремальных групп, М., 2002 ; site PSAN (Post-Soviet Armies Newsletter) ; Françoise DAUCÉ, Elisabeth SIECA-KOZLOWSKI (dir), Dedovshchina in the post-Soviet military. Hazing of Russian army conscripts in a comparative perspective, Hanovre, Ibidem Verlag, 2006, 308 p. ; Rebecca KAY, Men in contemporary Russia.The fallen heroes of post-Soviet change ?, Aldershot, Ashgate, 2006, 236 p. ; Sergueï OUSHAKINE, The Patriotism of Despair. Nation, War, and Loss in Russia, Ithaca, Cornell UP, 2009, 299 p.

4) Sur la guerre d'Afghanistan : Éric BACHEBER, L'Afghanistan en guerre. La fin du grand jeu soviétique, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1998 ; Oleg ERMAKOV, Reals Afghans, P, Albin Michel, 2000 ; Svetlana ALEXIEVITCH, Les cercueils de zinc, P, Christian Bourgois, 2002 ;

 

Notice créée le 1 Mars 2010. Dernière modification le 12 Juin 2012.

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