Film documentaire, France, 2007, de Jean-Michel Carré, en couleur, sonore.
Production : France, 2007
Durée : 100 minutes.
Version originale : français
Documentaire qui a demandé trois ans de réalisation et de recueil d’une centaine d’entretiens. Les auteurs avaient déjà pu se créer un réseau d’information solide grâce à un précédent documentaire tout aussi retentissant Koursk, un sous-marin en eaux troubles (2005).
Ils analysent ici avec précision et clarté l’ascension politique de Vladimir Poutine depuis ses années passées au service du KGB jusqu’à son second mandat présidentiel, mettent en lumière la méthode, les stratégies, les logiques, définissent les mécanismes de ce qui est communément appelé le « système poutinien », et tente de l’insérer dans une perspective historique plus large en faisant de ce système un héritier des systèmes politiques byzantin, tsariste et soviétique.
Plusieurs points ressortent :
- le passage de l' « homme de l’ombre » à l’homme de pouvoir : petit agent du KGB placé stratégiquement par ses supérieurs auprès de leaders politiques et qui a su, en s’aliénant la confiance de ceux-ci et en retenant les leçons des mécanismes du pouvoir, gravir les échelons de l’administration passant d’adjoint du maire de Saint-Pétersbourg à Premier ministre, petit protégé de Eltsine et de « la famille ». Le documentaire décortique toutes les méthodes utilisées pour qu’il remporte l’adhésion de l’opinion publique et gagne les présidentielles de 2000 : déclenchement de la seconde guerre de Tchétchénie après de faux attentats terroristes perpétrés contre des immeubles d’habitation, campagne médiatique à marche forcée assurée par les oligarques Berezovsky et Abramovitch. Une ascension fulgurante totalement orchestrée par le pouvoir et l’administration d’Eltsine.
- le « système Poutine », c’est le contrôle : forgé dans la mentalité du KGB, pour Poutine le pouvoir c’est le contrôle : le contrôle politique en éliminant les oligarques « privés » de l’ère Eltsine, enrichis par les privatisations des années 1990 et qui comptaient, en plaçant Poutine à la tête de l’Etat, s’assurer par lui une totale emprise sur les décisions politiques ; le contrôle médiatique en évinçant les présidents des chaînes de télévision dont il reprend le contrôle, et en limitant considérablement la liberté de la presse ; le contrôle économique en prenant la tête de Gazprom et en lui assurant le monopole du commerce énergétique. Son arme : le FSB. Poutine met ainsi en place ce qu’il appelle une « démocratie contrôlée » ou encore « une dictature de la loi » mais qui s’avère être une véritable autocratie, un régime autoritaire qui n’est pas sans rappeler la dictature tsariste et soviétique : un parti dominant, une verticale du pouvoir, l’enrôlement de la jeunesse (les jeunesses poutinienne Nashi), la censure et la répression des opposants politiques.
- le projet de Grande Russie : la mission que s’est donné Poutine est de redonner au pays sa grandeur d’autrefois, héritière à la fois de la Sainte Russie tsariste et de l’URSS, une force économique et politique qui assure une place prépondérante sur la scène internationale et la fierté de la population humiliée par la perestroïka et les années Eltsine. C’est l’arme idéologique qui rend légitimes toutes ses actions aux yeux de l’opinion publique. C’est essentiellement sous son deuxième mandat que cette politique porte ses fruits. Poutine joue sur deux armes géostratégiques infaillibles pour assurer le retour de la Russie sur la scène internationale: le marché de l’énergie, qui doit lui permettre d’assujettir les états européens et de ramener sous le giron de Moscou les anciennes républiques socialistes soviétiques (l’Ukraine avant tout) ; et l’armement, dans le contexte d’un nouvel affrontement avec l’USA pour la gouvernance internationale.
Ce documentaire est très riche en images d’archives et en interviews d’anciens responsables politiques, d’oligarques en exil (Berezovski notamment), d’ex membres du KGB, de responsables de partis d’opposition (Garry Kasparov notamment), d’experts en géostratégie et politique internationale, de conseillers de Poutine et membres du gouvernement…
Alexis BERELOWITCH, Jean RADVANYI, Les 100 portes de la Russie. De l’URSS à la CEI, les convulsions d’un géant, Paris, Ed. de l’Atelier, 1999 ; Marie MENDRAS (dir), Comment fonctionne la Russie ? Le politique, le bureaucrate et l’oligarque, Paris, coll. CERI-Autrement, 2003, 122 p. ; Lilia SHEVTSOVA, Putin’s Russia, Washington D.C., Carnegie, 2003, 306 p. ; Gilles FAVAREL-GARRIGUES, Kathy ROUSSELET, La société russe en quête d'ordre. Avec Vladimir Poutine ?, Paris, coll. CERI-Autrement, 2004 ; Anna POLITKOVSKAÏA, La Russie selon Poutine, Buchet-Chastel, 2005 ; LEDENEVA Alena, How Russia really works: The Informal Practices that shaped Post-Soviet Politics and Business, Ithaca – Londres, Cornell UP, 2006, 270 p.
Lire également les nombreux articles proposés dans la revue Politique étrangère (www.persee.fr)
Notice créée le 2 Juin 2009. Dernière modification le 7 Mars 2011.