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Staline, le tyran rouge

Film documentaire, France, 2007, de Mathieu Schwartz, Serge de Sampigny, Yvan Demeulandre, en couleur, sonore.

Production : France, 2007

Durée : 100 minutes.

Version originale : français

Résumé :

Conseiller historique : Nicolas Werth

Ce documentaire, réalisé uniquement à base d’images d’archives, a reçu le label du ministère de l’Education pour être utilisé dans le milieu scolaire. Diffusé sur la chaîne M6, il a fait largement polémique par son ton clairement tendancieux : le portrait de Staline est l’occasion d’une critique ouverte du Parti communiste français accusé pour son aveuglement et son soutien sans bornes au dictateur alors responsable de millions de morts. L’introduction du présentateur est à ce propos lourde de sens : la colorisation des images d’archives est un subterfuge qui a pour but de rendre actuel le sujet du documentaire, autrement dit d'actualiser la critique du communisme. Par ailleurs, le portrait de Staline brossé par le film est particulièrement manichéen, ce qui entame sérieusement sa vocation scientifique : balancement incessant entre les images de la mort (la Terreur, les purges, la famine, les camps) et celles issues de la propagande officielle sur la vie joyeuse des Soviétiques accentué par le choix de la musique entre tonalité dramatique et musique champêtre ; champ lexical du paradis et de l’enfer ; accent sur les pathologies psychologiques du dictateur sans aucune analyse politique de ses manœuvres ; emploi à outrance de superlatifs et d’expressions toutes faites qui tirent sur le pathos ; voix off particulièrement grave pour les témoignages de Staline, de manière à accentuer sa personnalité monstrueuse et terrifiante… Tout le montage et le commentaire n’est en fait destiné qu’à mettre en exergue la folie, le machiavélisme et la cruauté sans bornes du dictateur sans laisser de véritable place à une analyse historique.

Après le bilan des morts sous Staline en guise d’introduction, le documentaire commence dès 1924. L’ensemble des étapes historiques du régime à l’époque stalinienne est survolé : collectivisation des terres et déportation des koulaks, plan quinquennal, famine de 1933 en Ukraine, procès politiques, iéjovchtchina, Seconde Guerre mondiale, purges contre les Juifs…Ces épisodes sont entrecoupés de commentaires sur la politique de propagande et le culte de la personnalité en URSS et en France. Le documentaire s'achève sur la mort de Staline réduisant en l'espace de 10 min les années du stalinisme triomphant de 1945 à 1953.

Basé uniquement sur des images d’archives, le documentaire trouve dans celles-ci son seul véritable intérêt, et ce malgré leur colorisation. Nombreuses séquences intéressantes et présentées comme inédites : destruction de l’Eglise du Christ Saint Sauveur de Moscou, extraits de films de propagande sur les pionniers, images clandestines tournées par une touriste britannique dans les rues de Moscou sur la misère ambiante, images de la famine en Ukraine en 1933, visite d’Edouard Herriot, nombreux plans tournés dans les camps, inauguration du Canal Staline, nombreuses séquences de parades sur la Place rouge, images d’un discours en public d’un agent de la propagande destiné à convaincre les foules de la culpabilité de Boukharine, nombreuses images de la guerre (notamment refuge dans le métro, parades, bataille de Stalingrad…) et du retour des soldats, fête d’anniversaire de Staline, images des communistes français (discours de M. Thorez, préparatifs de l’anniversaire de Staline en France).

Ce documentaire est en réalité la version remaniée d’une version plus longue jamais diffusée et qui semble scientifiquement plus sérieuse. Pour expliquer les étapes du régime, l’accent est mis, dans cette première mouture, sur les manœuvres politiques de Staline davantage que sur sa paranoïa (qui n'est pas pour autant omise), de sorte qu’il apparaît avant tout comme un fin stratège plutôt que comme un fou sanguinaire. Le documentaire suit méthodologiquement la chronologie des faits, de sorte que l’on sent parfaitement l’étau totalitaire se resserrer sur la population tout en préservant le documentaire d’effets de montage qui servent dans la seconde version à rendre le propos excessivement manichéen. Usage scientifique des images d’archives avec commentaires, mise en contexte et surtout absence de coupes. Certains épisodes sont analysés de manière plus poussée : la construction du mythe de Stakhanov, et celui du pionnier Pavlik Morozov qui dénonce ses parents. D’autres sont  présents dans cette version mais ont été enlevés dans la version télédiffusée : l’affaire Kirov, les viols perpétrés par l’Armée rouge pendant la Seconde Guerre mondiale, l’exécution des officiers à Katyn, la méfiance grandissante de Staline envers Molotov. Le ton surtout diffère : pas de pathos,ni de propos sur l’aveuglement du Parti communiste français qui est nuancé ici par le cas du communiste André Gide très critique à l’égard du régime stalinien une fois revenu d’un voyage en URSS.

 

Orientations bibliographiques :

Isaac DEUTSCHER, The Great Purges, Oxford-New York, Basil Blackwell, 1984, 174 p. ; Nicolas WERTH, Les procès de Moscou. 1936-1938, Bruxelles, Complexe, 1987 ; А. РЫБИН, “Рядом с Сталиным”, Социологические Исследования, 1988 ; D. VOLKOGONOV, Staline. Triomphe et tragédie, Paris, Flammarion, 1991, 540 p. (version originale : Moscou, 1989)  ; J. A. GETTY, R. T. MANNING, Stalinist Terror. New Perspectives, Cambridge, Cambridge University Press, 1993 ; O. KHLEVNIOUK, Le cercle du Kremlin. Staline et le Bureau politique dans les années 30 : les jeux du pouvoir, Paris, Seuil, 1996 ; S. COURTOIS, N. WERTH et al., Le livre noir du communisme. Crimes, terreur et répression, Paris, Laffont, 1997 ; Tamara KONDRATIEVA, Gouverner et nourrir. Du pouvoir en Russie (XVIe-XXe siècles), Paris, Belles-Lettres, 2002, 328 p. ; M. JANSEN, N. PETROV, Stalin's loyal executioner. People's commissar Nikolaï Ejov, Stanford, Hoover Institut Press, 2002 ; Nicolas WERTH, “Repenser la 'Grande Terreur'. L'URSS des années trente”, Le Débat, n° 122, nov-déc. 2002, p. 118-139 ; Борис ИЛИЗАРОВ, Тайная жизнь Сталина. По материалам его библиотеки и архива. К историософии сталинизма, Мoscou, Вече, 2003 ; E. A. REES, The nature of Stalin's dictatorship. The Politburo, 1924-1953, Basingstoke-New York, Palgrave Macmillan, 2003, 267 p. ; S. SEBAG MONTEFIORE, Staline. La cour du tsar rouge, New York, Alfred A. Knopf, 2004, 785 p. ; S. SEBAG MONTEFIORE, Le jeune Staline, Calmann-Lévy, 2008.

 

Notice créée le 18 Mai 2009. Dernière modification le 1 Mars 2012.

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