En 1996, à la veille de la fin de la première guerre de Tchétchénie,  un soldat russe (Konstantin Kamrouleov) décide de filmer le quotidien de sa colonne (terme militaire désignant une formation  en rang serré et en file indienne)  dirigée par le Général Chamanov. Il veut témoigner à son retour en Russie de la réalité de la guerre à ceux qui ne le croyaient pas. Les images sont accompagnées de son commentaire a posteriori. Elles montrent dans la plus grande simplicité et à l’état brut le quotidien d’une troupe : les moments de combats avec ses blessés et ses morts, les moments de repos, l’ennui, les pillages, ce qui fait la routine d’une troupe à savoir de suivre les ordres. Elles révèlent également la situation alarmante de l’armée russe : absence d’équipement, de nourriture, secours médical défaillant, enrôlement dans l’armée pour fuir la misère ambiante en Russie, alcoolisme.

L’idée générale, parfaitement explicitée par le soldat, est l’absurdité totale de la situation mise en lumière par une série de contradictions habilement suggérées : le fait que les soldats s’engagent pour de l’argent (les kontraktny) alors qu’ils n’approuvent pas les combats en Tchétchénie, ou au contraire la folie destructrice et meurtrière des « éclaireurs » avides de combats et de sang qui dévastent tout sur leur passage pour briser l’ennui et pillent sans scrupule à l'image des Allemands pendant la Seconde guerre mondiale ; disproportion entre les troupes russes et les combattants tchétchènes 100 fois moins nombreux et qui pourtant « mènent la danse » ; croisement de tanks dans l’indifférence la plus totale, les uns pour ramener à l’arrière des morts et des blessés, les autres pour amener des jeunes soldats au front ; annonce officielle de l’arrêt des combats par Eltsine mais poursuite des opérations sur le terrain ; soldat russe exhibant une oreille d'un Tchétchène qu’il vient de tuer et affirmant qu’ils faut tous les tuer car ce sont des « bêtes sauvages ». Tout le documentaire est construit de manière à prendre la mesure de la situation qui va au-delà de l’absurdité pour frôler véritablement l’irréalité. Ensemble de scènes tragi-comiques frappantes : entrainement des troupes à balles réelles ; bombardements sur fond de musique russe à la radio ; séance de bronzage après le siège d’une ville.

Le soldat fait un bilan sans équivoque de la guerre : « utilité nulle » : morts de nombreux soldats russes pour seulement quelques combattants tchétchènes ; destructions des habitations des civils mais les équipements des combattants tchétchènes restent intacts.

Ce qui se dégage surtout de ce documentaire est le profond sentiment d’indifférence et d’insensibilité auxquelles ont été réduits les soldats russes pris dans la routine de la guerre.