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Prime (La)
(ПРЕМИЯ)

Film de fiction, U.R.S.S., 1975, de Sergueï Mikaelian, en couleur, sonore.

Production : LENFILM, U.R.S.S., 1975

Durée : 90 minutes.

Version originale : russe

Sous-titres : français

Résumé :

Tout au long de l’histoire soviétique, l’importance du travail est réaffirmée, mais, à partir des années
1960, vu les résultats catastrophiques de l’économie, cette question devient un leitmotiv qui perdure jusqu’à la fin du régime et que le cinéma relaie largement. La prime consiste en une satire de l’organisation de la production et du travail en URSS. Sur un chantier en construction, une équipe d’ouvriers du bâtiment décide solidairement de refuser une prime pour faire prendre conscience aux responsables des incohérences du système de rémunération. Saisis de panique, ceux-ci réunissent aussitôt une réunion du Comité du parti de l’entreprise. Le chef d’équipe Potapov, homme de grande expérience, y est convoqué. Cet homme de la base, face à la Direction du site et au Secrétaire de la section locale du parti, a l’audace de décortiquer les dysfonctionnements liés à la mauvaise organisation de la production. Mikaelian touche là, dans un style direct, à un sujet sous haute surveillance.
Les ouvriers de son équipe ont rejeté la prime – explique Potapov – pour dénoncer le système de rémunération à la tâche qui est injuste. À cause de multiples arrêts dans le travail dont ils ne sont pas responsables, leur salaire est régulièrement amputé. La prime – une “ aumône ” – semble dès lors dérisoire. Le cinéaste dénonce ici explicitement les abus dont la classe ouvrière est victime du fait de ce système inique (de nombreux débats sur cette forme de paiement opposé au travail rémunéré à l’heure avaient cours dans ces années-là). Quelles sont les causes de ces arrêts? La pénurie des matériaux, mais aussi l’inorganisation dans le travail, la pagaille sur le chantier. C’est bien l’incompétence de la Direction de l’usine, engluée dans des rivalités de personnes et incapable de faire tourner correctement l’entreprise, que veut stigmatiser le chef d’équipe. Enfin ce dernier dénonce le manque de discipline, le laisser-aller général. Il décrit dans un raccourci hallucinant une semaine de travail type de son équipe qui “ poireaute ” (sic) sans béton la moitié du temps et à laquelle “ on fait casser la semaine suivante ce qu’on lui avait fait construire la semaine précédente”. L’obtention de la prime est officiellement liée à l’accomplissement du Plan. Mais Potapov met l’accent sur l’une des « escroqueries » du système : les entreprises n’arrivent jamais à remplir le Plan ; alors elles le font “ rogner ” par la Direction du Plan, ce qui leur permet non seulement d’être à même de le remplir l’année suivante mais même de le dépasser... et du coup toucher la prime. Les bases mêmes du système de planification sont remises en question.
Enfin le réalisateur bascule d’un fait divers à une mise en doute radicale de l’avènement du communisme. À la question : “ Vous êtes membre du parti ? ”, le chef d’équipe avait répondu, au début de la réunion, par un “ oui ” désabusé. En fin de séance, il assène aux responsables la certitude qui s’impose aux jeunes de l’équipe, écœurés par tant de gabegie : “ Le communisme, c’est pas pour demain ! ” D’un même coup, Mikaelian étale leur désillusion et écorne le principe de la jeunesse soviétique éduquée dans le respect du travail et tendue dans l’objectif suprême de la construction du communisme. Les fondements du régime sont atteints.
Le scénario de La prime a néanmoins connu quelques difficultés. Son auteur, Alexandre Gelman, auteur de théâtre dramatique, était très populaire. Sadtchikov se remémore que les collègues du GSRK se sont divisés en deux clans : sept pour son adoption, sept contre. C’est la rédactrice en chef, Eleonora Barabach, qui dirigeait la séance d’examen, qui a tranché en sa faveur (huit voix contre sept). Par ailleurs, le film est détourné de la violente critique qu’il émet pour être partiellement “ récupéré ”. Car en montrant les rivalités entre les différents responsables de l’entreprise et en ramenant les échecs à un niveau humain, ce qui relève de la mauvaise organisation globale du travail et de la planification imputable au parti est allégé d’autant. En costume-cravate, les “ chefs ” regardent de haut l’homme de la base. Seul le Secrétaire du parti, qui est au-dessus des conflits de pouvoir internes à l’entreprise, comprend Potapov et encourage son initiative de réformes. Le choix du jeune et bel acteur Oleg Yankovski pour incarner ce personnage n’est pas innocent : le parti a le beau rôle. En outre, certains membres de l’équipe se récusent et acceptent finalement la prime, évitant une remise en cause complète du système. Le retour à un discours orthodoxe à la fin du film constitue, on l’a vu, une récupération classique. Enfin le pouvoir “ retourne ” l’accusation implicite que contient La prime en exemple d’une dénonciation “ saine ” de la mauvaise appréhension du travail par certains éléments de la société, et l’utilise comme porte-parole d’une volonté de réforme. Des ouvriers sont emmenés par autocars entiers pour le voir. Le film recevra de nombreux prix.

[Extrait de : Martine Godet,  La pellicule et les ciseaux..., voir infra]

Orientations bibliographiques :

On trouvera une analyse plus développée de ce film dans : Martine GODET, La pellicule et les ciseaux. La censure dans le cinéma soviétique du Dégel à la perestroïka, Paris, CNRS Editions, 2010, 308 p.

Notice créée le 23 Avril 2007. Dernière modification le 16 Mars 2011.

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