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Épouvantail (L’)
(ЧУЧЕЛО)

Film de fiction, U.R.S.S., 1983, de Rolan Bykov, en couleur, sonore.

Production : Mosfilm, U.R.S.S., 1983

Durée : 127 minutes.

Version originale : russe

Résumé :

La violence de la jeunesse est un  thème qui reçoit un formidable écho auprès du public. En témoignent les milliers de lettres de spectateurs que Rolan Bykov a reçues à propos de son film L’épouvantail (1983-1984) qui met en scène un microcosme de violence et de cruauté chez de jeunes adolescents.
Lena, douze ans, vient vivre pour un certain temps chez son grand-père dans une petite ville de province à la belle architecture ancienne. Leur famille a un passé prestigieux et de nombreux portraits de famille de généraux ayant combattu Napoléon ornent les murs de la vénérable maison en bois dans laquelle le grand-père vit encore. D’emblée, au moment précis où Lena entre en tant que “ nouvelle ” dans la salle de classe, les autres la rejettent en l’affublant du sobriquet d’“ épouvantail ”. Cette attitude tourne au boycott lorsque Lena prend sur elle la faute commise par un camarade dont elle est amoureuse et qui a valu à toute la classe d’être privée d’un voyage à Moscou avec l’école. Elle s’accuse à sa place tout en attendant secrètement qu’il rétablisse la vérité. Tout le déroulement du film montre la différence de Lena par rapport aux autres, liée à sa conception des valeurs morales : sens de l’honneur blessé, courage car elle ne dénonce pas, désillusion horrifiée devant la lâcheté de celui qu’elle aime, indépendance d’esprit.
Sous la direction de la meneuse de classe qui a déclaré le boycott contre elle et que toute la classe suit au doigt et à l’œil comme un troupeau de moutons, Lena est poursuivie tout au long du film dans une chasse à l’homme haletante, bousculée dans une ambiance de cauchemar et de terreur, battue jusqu’au sang. Les jeunes vont jusqu’à brûler son effigie — un véritable épouvantail cette fois — sur un feu, et à lui bander les yeux en la faisant tourner autour du foyer. Lena, avec ses traits fins, sa silhouette longiligne aux immenses cheveux blonds de vierge nordique, représente l’agneau innocent offert en sacrifice à la vindicte d’une société qui ne supporte pas qu’on puisse avoir des valeurs différentes, ni qu’on résiste à l’uniformisation.
L’enseignante de la classe est totalement aveugle à ce qui se passe. Cette mise à mort, d’abord morale puis physique, a lieu sans que la société s’en émeuve. La société est représentée par cette meute de touristes amorphes que dégorge le bateau qui remonte le fleuve et qui gobe bêtement le texte monocorde que débite le guide : sous ses yeux, Lena est jetée par terre et assaillie par ses camarades, mais personne ne réagit. La société, c’est encore cette classe qui la symbolise, avec sa cruauté, son besoin d’un bouc émissaire comme défouloir, comme victime innocente qu’on peut accuser commodément de tous les maux. La société, c’est enfin l’orchestre militaire qui s’entraîne, qui joue une fanfare parfaitement “ lisse ”, sans une fausse note. On le voit jouer à plusieurs reprises dans le film, en alternance avec les scènes de chasse à l’homme, mais c’est un orchestre anonyme, indifférent, son chef n’apparaît pas : symbole d’un système qui lisse, qui glisse, qui cache sous les flonflons les horreurs qui se passent en son sein mais conserve toujours le même discours bien rodé.
Mais à la fin du film, quand toute cruauté est consommée, que Lena a coupé ses longues nattes et s’est fait raser le crâne pour répondre aux persécutions qu’elle a subies, qu’elle abandonne la partie et quitte la ville en un véritable exil avec son grand-père, blessée à mort, — là, il y a retournement et le chef d’orchestre apparaît, une seule fois, mais en gros plan. Il est interprété par Rolan Bykov, le réalisateur du film. Après avoir dirigé la fanfare d’adieu, ce dernier salue longuement en enlevant son képi le vieillard et la petite fille montant dans le bateau qui les emporte, en signe d’hommage aux valeurs qu’ils incarnaient et qui sont en voie de disparition.
Cette œuvre s'inscrit dans  un courant prônant un nécessaire retour aux valeurs morales à la fin de la période brejnévienne. Elle a suscité d'intenses débats : fallait-il l'interdire, vu la violence de la jeunesse qu'il dénonçait, ou fallait-il au contraire le faire sortir comme une sorte d'avertissement salutaire à la société soviétique ? Produit en 1983-1984, L’épouvantail est finalement sorti en 1985 sur les écrans soviétiques après avoir eu maille à partir avec la censure, à cause, précisément, de la violence et de la cruauté de la jeunesse qu’il décrivait sans fard. Mais Rolan Bykov a disposé du soutien des organisations les plus influentes de la jeunesse , qui ont d’une certaine façon “ utilisé ” le film en montrant à grands renforts de publicité le profit qu’on pouvait tirer de la leçon qu’il représentait pour la jeunesse soviétique. Leur intervention est par ailleurs le signe de l’immense préoccupation du public soviétique par rapport à ces problèmes.  

 

Orientations bibliographiques :

Le film soviétique, 10/83, p. 8-10 (reportage en cours de tournage / documentation Iconothèque) ; Isabelle PASTOR, "L'Epouvantail",  Aspects du cinéma soviétique, numéro spécial sur la jeunesse au cinéma, n° 7, 1985, p. 29-39 ; "Intervention de Rolan Bykov", Aspects du cinéma soviétique, numéro spécial sur la perestroïka,  1987/88, n° 9, p. 21-22 ; Alexander GERSHKOVICH, “Scarecrow and Kindergarten : A critical analysis and comparison", The Red Screen. Politics, Society, Art in Soviet Cinema, Anna Lawton éd., Londres-New York, Routledge, 1992, p. 283-290 .

Notice créée le 23 Avril 2007. Dernière modification le 4 Mars 2011.

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