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Trois jours dans la vie de Viktor Tchernychev
(ТРИ ДНЯ ВИКТОРA ЧЕРНЫШЁВA)

Film de fiction, U.R.S.S., 1968, de Mark Osepian, en couleur, sonore.

Production : Studio Gorki, U.R.S.S., 1968

Durée : 103 minutes.

Version originale : russe

Résumé :

Film de diplôme de Mark Osepian – opérateur de formation – en tant que réalisateur. Lors du tournage de La Porte d’Ilitch / J'ai vingt ans, de Marlen Khutsiev, Osepian faisait partie du groupe des opérateurs (sous la direction de Margarita Pilikhina).  Trois jours de Viktor Tchernychev est  réalisé dans une Unité de création dirigée par Stanislav Rostotskij au sein du studio Gorki.

Le film montre en continu trois jours de la vie d’un jeune ouvrier moscovite (qui n'a pas encore vingt ans, comme les amis de sa bande). Partant du réveil du héros, Viktor Tchernychev, le scénario fait défiler successivement toutes ses activités et constitue de fait une sorte de reportage documentaire sur la jeunesse des années 1960 : journée à l'usine, réunion obligatoire de Komsomols le soir après le travail, sortie avec les copains, longues déambulations dans Moscou, rencontre avec les filles, danse. Jours suivants : récolte des pommes de terre à la campagne, à nouveau obligatoire pour les Komsomols. Et ainsi  de suite...

Viktor, tout comme Serioja, héros de La Porte d'Ilitch,  s’interroge  sur le sens de la vie quoique, de l'extérieur, il semble ne penser à rien, ne rêver à rien dans cette vie monocorde. En réalité, il est seul dans cette quête existentielle et va plus loin dans la rébellion que Serioja. Dès le début, on sent chez lui une violence intérieure concentrée. Il provoque une bagarre violente dans la rue avec un inconnu et cette rixe stupide le mène au commissariat où il passera la nuit. Les conséquences en seront très lourdes : Viktor est expulsé de l'usine. Tout se retourne désormais contre lui. Il est pris au piège.

De fait, Viktor est un "anti-héros", d'où la dénomination de "non pédagogique" donnée au scénario. Il rejette délibérément le souvenir de son père, mort à la guerre ; refuse d'aller voir son grand-père en province : cette ignorance déterminée des liens de parenté ne peut pas être innocente. Sa mère est représentée comme un personnage falot, inexistant. Il y a chez Viktor, qui n'a pas eu de modèle dans sa  jeunesse, une absence de conscience, une échelle des valeurs chancelante. Et cet acte de provocation gratuit est à attribuer à un conflit de générations.

Ce film est le dernier jaillissement de la vague de liberté des années 1960 et du courant initié par Khutsiev, et constitue un exemple-type de la forme filmique dite du "flot de la vie" (potok žizni). Réalisé cinq ans plus tard, il semble très (trop ?) proche de La Porte d'Ilitch : par le thème, par l'ambiance : même absence d'action, et en même temps vie bouillonnante chez ces jeunes ; même importance de la rue, mêmes plans de Moscou la nuit et à l'aube ; par la forme : noir et blanc, us (et abus) des gros plans, mêmes plans balayés, introduction parfois maladroite de séquences documentaires. Trois jours de Viktkor Tchernychev a plus de force, plus de désespoir que La Porte d'ilitch : son héros est arrivé dans une impasse dont in ne peut sortir.

Ce film a été censuré pour différents motifs. Tout d'abord ce modèle d'anti-héros, dans les dernières ondes du Dégel, est inacceptable. Le temps consacré au travail proprement dit, dans le film, est minime puisque l'emphase est mise délibérément sur la partie dévolue aux loisirs. De plus, au sein de cette portion congrue concédée au travail, Osepian pointe acidement les dérives de l'Organisation des Komsomols. Enfin la forme, proche de Khutsiev (déferlement du quotidien, flot de la vie, insertion de séquences documentaires, etc.) est taxée de formalisme. Les différentes expériences stylistiques tentées par Osepian sont en outre comparées à celles des fondateurs de la Nouvelle Ecole de New York : John Cassavetes et Shirley Clark. D'où un rejet par la censure en tant qu'imitation de l'Occident. Des intertitres ont été imposés à Osepian pour structurer l'ensemble.

 

Orientations bibliographiques :

Jean-Loup PASSEK (éd.), Le cinéma russe et soviétique, Paris, L'Equerre- Centre Georges Pompidou, 1981 (p. 267 ); Elena STIŠOVA, "Le temps et le choix" [Vremja i vybor], Iskusstvo kino, 1, 1987, p. 49-56, spécialement p. 51 ; Irina RUBANOVA, "Losses along the way", Catalogue du Festival de Rotterdam, 1990, p. 78-85, spécialement p. 84 ; Martine GODET, "La pellicule et les ciseaux. La censure dans le cinéma soviétique du Dégel à la perestroïka", thèse EHESS, 2000 (2 vol.: 380 et 255 p. ; voir notamment vol. 2, Annexes, p. 74-75, dont le résumé ci-dessus est tiré).

Notice créée le 23 Avril 2007. Dernière modification le 18 Juin 2012.

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