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Requiem pour un massacre
(ИДИ И СМОТРИ)

Film de fiction, U.R.S.S., 1986, de Elem Klimov, en couleur, sonore.

Production : BELARUSFILM, MOSFILM, U.R.S.S., 1986

Durée : 143 minutes.

Version originale : russe

Sous-titres : français

Résumé :

Le projet de film d'Elem Klimov consistait en l’adaptation de l’ouvrage de l’écrivain biélorusse Ales' Adamovitch (1927-1994), Nouvelle de Khatyn, consacré aux massacres perpétrés par les Nazis en Biélorussie pendant la Grande Guerre patriotique. Le texte (non publié « parce qu’on ne pouvait parler de la guerre que sur un ton héroïque » dit  Klimov, voir interview infra) avait été rédigé d’après des témoignages de survivants :  plus de 600 villages calcinés, leurs habitants exterminés, trois millions de civils  tués. De fait, 20 à 25 % de la population biélorusse a péri pendant la guerre.

Scénario : L’action se déroule en 1943 dans le village de Khatyn en Biélorussie. Après avoir déniché un fusil, un adolescent d’une quinzaine d’années, Fliora, décide de participer lui aussi à la guerre. Il quitte son village, laissant sa mère et ses deux petites sœurs pour rejoindre un détachement de partisans dans la forêt. Il y rencontre Glacha, une jeune fille qui vient d'être violée. Une complicité naît entre eux pour faire face à l'horreur de la guerre. Quand il revient quelque temps plus tard au village avec les partisans, celui-ci n’est plus qu’un champ de ruines brûlé par les nazis. Tous les habitants ont été exterminés. La caméra balaie furtivement des tas de corps nus, sans vie, empilés à l’extrémité du bourg, derrière des isbas. Le film bascule brutalement dans l’horreur. Cette impression est démultipliée par la noirceur du paysage, la masse lugubre et visqueuse des marais dans lesquels s’embourbent les partisans, par ce que Klimov appelle « l’esthétique de la boue ». Le visage déformé, ridé, par l’apocalypse à laquelle il assiste, le jeune héros – interprété par un acteur non professionnel, Alexeï Kravtchenko – fixe la caméra de manière récurrente, comme pour prendre à témoin le spectateur de la barbarie de la guerre. Grisée par l'abominable, la caméra déforme les visages jusqu'à les déshumaniser. A la fin du film, le héros a le faciès d’un vieillard. 

La scène paroxystique consiste en un Oradour biélorusse : les Allemands enferment dans une grange tous les habitants d’un village, puis y mettent le feu. Les cris qui viennent de la fournaise sont partiellement couverts par les chants et la soûlerie des nazis. Une mère tente de s’échapper avec son enfant. Le petit est rejeté dans les flammes, tandis que la jeune femme est emmenée par les soldats, puis violée dans une orgie sanguinaire. Le film atteint avec l’ensemble de cette scène une dimension épique d’une puissance exceptionnelle. 

Certains critiques ont reproché à Klimov l’impression d’horreur insoutenable qui se dégage du film, estimant qu’un tel degré de barbarie ne relevait plus du cinéma. Le réalisateur s’en est expliqué, dévoilant son rapport personnel de citoyen à l’atrocité de cette guerre, dont il sentait viscéralement qu’il devait témoigner et qu’il cherchait à exorciser, évoquant donc un  devoir de mémoire. D'où découle le titre russe du film : "Va et regarde".

Si le film Agonia a occupé sept à huit ans de la vie de Klimov (de 1974 à 1981), la durée d’élaboration de Requiem pour un massacre a été presque aussi longue. La première tentative s’est  déroulée entre 1977 et 1979. Le scénario, intitulé "Tuez Hitler ! ", avait été écrit par Klimov en collaboration avec Adamovitch. Le tournage a été interrompu dès le début à cause de la noirceur du thème et parce que l’action des partisans n’était pas suffisamment mise en valeur. À ce premier essai a succédé un arrêt qui a duré sept  ans. À l’occasion du quarantième anniversaire de la Victoire (1985), la production du film est relancée grâce à l’opiniâtreté d’Adamovitch. Bien que les autorités souhaitent un réalisateur biélorusse, l’écrivain exige que le choix se porte sur Klimov. Pour l’autorisation de sortie, le film connaît de nouveaux tracas. Néanmoins, grâce à l’intervention  de Sergueï Guerassimov, Requiem pour un massacre est sélectionné pour représenter l’Union Soviétique au Festival de Moscou de 1985 : celui-ci n’accepte en effet d’être président du jury qu’à cette condition. Le film obtient le Grand Prix. Sa sortie nationale a lieu en 1986. Le succès est immense : quarante millions de spectateurs rien qu’en URSS et une très large distribution dans le monde entier. C’est la fin, pour Klimov, d’une persécution qui aura duré toute sa carrière.

Sur ce thème, voir également le documentaire (allemand) de Gerhard Thiel et Hannes Heer, "Comment des soldats ordinaires devinrent des assassins" (1997), ainsi que celui de Helke-Daniela Güldenpfennig, intitulé "L'enfant et la mort", sur les souvenirs de tournage de A. Kravtchenko qui a inteprété en 1985 le rôle de l'enfant dans le film.

 

Orientations bibliographiques :

Martine GODET, La pellicule et les ciseaux. La censure dans le cinéma soviétique du Dégel à la perestroïka, P, CNRS Editions, 2010, 308 p.  [voir notamment une analyse de la  trajectoire de Klimov (ch. 3) ainsi qu'une interview du réalisateur en annexe de l'ouvrage].

Ben SHEPHERD, War in the Wild East. The German Army and Soviet Partisans, Cambridge, MA : Harvard UP, 2004, 300 p.; Alexandra GOUJON, "La mémoire des villages brûlés pendant la Seconde Guerre mondiale : l'exemple de Khatyn en Biélorussie", in David El Kenz, François-Xavier Nérard éds, Commémorer les victimes en Europe, P, Champ Vallon, coll. "Epoques", 2011, p. 77-90 ;

Notice créée le 23 Avril 2007. Dernière modification le 14 Septembre 2011.

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