Film de fiction, Russie, 2003, de Andreï Zviaguintsev, en couleur, sonore.
Production : REN Film , Russie, 2003
Durée : 106 minutes.
Version originale : russe
Sous-titres : français
Après dix ans d’absence, un père revient sans explications s'occuper de ses deux fils, Andreï (15 ans) et Ivan (12 ans), qui ne le connaissent que par une ancienne photo oubliée dans un livre d'images saintes au fond d'une malle. On ne sait pas d'où il sort. A la manière forte, incarnant la virilité à l'ancienne avec un mutisme glacial et une autorité brutale ne tolérant aucune réplique, ce père les emmène en voyage sur une île pour une partie de pêche qui va se transformer en séjour initiatique. En moins d'une semaine – comme le récit de la création du monde dans la Genèse, le récit est scandé en journées –, il impose à ses fils des épreuves de plus en plus difficiles. Face à ce géniteur mystérieux et violent, le tempérament des enfants se dessine aussi nettement que ceux de Caïn et d’Abel : Andreï se précipite dans la soumission tandis qu’Ivan, le "trouillard" qui s'est dérobé à l'épreuve du plongeon dans la première scène du film, choisit la révolte. Les lignes de force de cet affrontement sont tranchées au scalpel. "C'est dans cette violence biblique que se trouve la vraie raison d'être du Retour" (1). Violence biblique, dans le sens de l'Ancien Testament, semble-t-il, ce qui serait confirmé par la page du livre d'images saintes où se trouve la gravure (sacrifice d'Isaac par Abraham) ; car l'interprétation du père comme figure d'un retour du Christ (Nouveau Testament) – ainsi que le rapprochement entre la figure du père et le tableau d'Andrea Mantegna Lamentations sur le Christ mort (1490) – paraît surprenante : quelle représentation du Christ, incarnation de l'Amour pour les chrétiens, pourrait figurer ce père odieux, violent, qui a abandonné ses enfants ? Andreï Zviaguintsev, qui veut préserver jusqu'au bout l'énigme du père, déclare : "Être le plus laconique possible, c'était mon but. Je voulais opposer trois personnages au vide d'une ville, d'un ciel, d'un lac, d'une forêt. M'approcher d'un conte mythologique"(2) (3). Le cinéaste expliquera, lors de la sortie de son troisième film, Elena, réalisé en 2011, que "dans [s]es deux premiers films, le propos trouvait de la force symbolique dans cette absence volontaire de définition des lieux et des époques" (4). La photographie est d'une réelle magnificence. Pour restituer cette atmosphère glaçante, l'opérateur Mikhaïl Kritchman multiplie les couleurs froides : harmonies de bleu-gris déclinées à n'en plus finir, cieux argentés, mer plombée, forêts vert sombre ...
Film d’auteur à petit budget, révélation du festival de Venise où il a obtenu le Lion d’or en 2003, ce premier long-métrage d'un Sibérien inconnu de 39 ans, né en 1964 à Novosibirsk, qui exerce le métier d'acteur et survit de publicités pour la télévision, fait sensation. On évoque aussitôt une esthétique mystique digne d’un nouveau Tarkovski dans L'Enfance d'Ivan. Zviaguintsev revendique largement l'influence d'Antonioni. Mais le critique Andreï Plakhov souligne en octobre 2003 que, pour autant, Zviaguintsev est un cinéaste d'aujourd'hui qui "ne pastiche pas les années 60. Son film rappelle par instants un thriller, et plus encore l'hyperréalisme américain [...] , lorsqu'une scène parfaitement réaliste se transforme sans prévenir et sans artifice de mise en scène en mythe ou en parabole".
Ce premier film, d'une force étonnante, marquait-il la renaissance d'un cinéma russe moribond depuis l’effondrement de la perestroïka ? Avec presque dix ans de recul, la réponse est oui. Sans aucun doute.
(1) Critique du film par Thomas Sotinel, Le Monde, 26 novembre 2003.
(2) Cité par Pierre Murat, Telerama, octobre 2003.
(3) Zviaguintsev évoque également le mythe d'Ulysse dans L'Odyssée (cf. rapports d'Ulysse avec son fils Telegonos, l'un des trois fils qu'Ulysse eut avec Circé), cf. interview du cinéaste par Pascale Clark, Emisson "Tam tam etc", France Inter, 25 novembre 2003. Dans cette même interview, Zviaguintsev dit que les critiques de cinéma ont élaboré des interprétations de son film que lui-même n'avait nullement imaginées.
(4) Interview de Zviaguintsev pour le quotidien La Croix, 6 mars 2012.
Notice créée le 23 Avril 2007. Dernière modification le 21 Mars 2012.