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Soy Cuba
(Я — КУБA)

Film de fiction, Cuba-U.R.S.S., 1964, de Mikhail Kalatozov, en noir et blanc, sonore.

Production : MOSFILM / ICAIC, Cuba-U.R.S.S., 1964

Durée : 141 minutes.

Version originale : russe

Sous-titres : français

Résumé :

Poème cinématographique sur la révolution de Cuba. Le scénario est l'œuvre du romancier cubain Enrique Pineda Barnet et surtout du poète russe Evgueni Evtouchenko. Ce dernier avait été envoyé à Cuba au printemps 1961 par la Pravda comme poète correspondant.

Le film est découpé en quatre épisodes dont les thèmes sont déterminés par l’histoire de la révolution castriste : 1)” Le colonialisme et ses effets sur la ville” (à La Havane, Maria, jeune et jolie, est amoureuse d’un jeune marchand d’oranges ; le soir, elle s’appelle Betty et travaille dans un bar pour étrangers américains ; elle ramène l’un d’eux dans son logement dans un bidonville ; il repart le lendemain matin après l’avoir forcée à lui vendre la croix qu’elle porte au cou, au moment précis où le marchand d’oranges arrive et est témoin de la scène) ; 2) “La tragédie des paysans” (Pedro cultive à la campagne un champ de canne à sucre dont il vit avec sa fille et son fils qui ont entre 15 et 20 ans. Le jour de la récolte, le propriétaire du terrain lui annonce que son champ a été vendu à la compagnie américaine United Fruit et que la canne ne lui appartient plus. Fou de désespoir, ill met le feu à son champ) ; 3) “La gestation de la lutte des étudiants” (section consacrée à l’action révolutionnaire des jeunes de l’Université de La Havane. Enrique organise le meurtre du chef de la police mais il est tué et son cercueil est porté dans les rues de La Havane. Enrique devient un symbole de liberté pour Cuba ; 4) La lutte dans les montagnes et le triomphe final de la révolution (les rebelles avancent dans la Sierra Maestra. Un barbudo, ami de Enrique et qui porte son prénom, est poursuivi dans la montagne. Une famille très pauvre vit dans cette sierra. Enrique essaie de convaincre le mari, Mariano, de rejoindre la lutte armée, mais il refuse. Puis sa maison est détruite par les bombardiers de Batista et un de ses enfants meurt. C’est alors qu’il décide de retrouver les barbudos. Ceux-ci finissent par atteindre la victoire et à chasser Batista en 1959). [Ce découpage du film a été rédigé sur les indications de Stéphanie Meilhac, voir infra].

Quand passent les cigognes, tourné par Kalatozov en 1957, est l'un des premiers films du Dégel, qui a suscité un coup de tonnerre en obtenant en 1958 la Palme d'or au Festival de Cannes. Le cinéaste, qui avait réalisé depuis les années 1930 des films dans le style le plus pur du réalisme socialiste, avait  saisi sans attendre toutes les possibilités offertes par l'ouverture du cinéma soviétique, liées à l'avènement de Khrouchtchev.  Kalatozov  manifestera une audace bien plus grande encore avec La Lettre inachevée (1959), film pour lequel il se fit taper sur les doigts par la censure. Cette dernière œuvre semblait renouer avec le Kalatozov d'avant les années 1930, et notamment Le Sel de Svanétie (1930), œuvre extrêmement formaliste. 

Le thème du Sel de Svanétie, comme celui de La Lettre inachevée sont très proches de ceux de Soy Cuba : "montrer des hommes soit en proie aux difficultés de la vie car souvent entourés par une nature hostile mais qui ne demande qu'à être apprivoisée, soit face à l'injustice des hommes eux-mêmes" (S. Meilhac, voir infra, tome 1, p. 36). Dans Soy Cuba, le cinéaste, qui était né trop tard pour participer à la révolution d'Octobre, pouvait manifester son engagement humain et politique et faire son film sur la révolution (en tentant ainsi de rivaliser avec Le Cuirassé Potemkine ?).

Mais, parallèlement à l'engagement idéologique du réalisateur en faveur de la révolution cubaine, et manière ambiguë, Soy Cuba vibre par  le formalisme exacerbé qui s'en dégage. La section qui se déroule au Tropicana, bar de nuit de La Havane où se pavane "l'impérialisme américain", censé honni, regorge d'une sensualité torride ainsi que d'une"orgie baroque" (S. B.) dans la forme cinématographique, toutes deux inimaginables pour un honnête citoyen soviétique en 1964. Les Cubaines lascives qui s'y prélassent sont tout sauf repoussantes et cette représentation du sexe est a contrario bien séduisante. Ces audaces formalistes cumulées  (caméra "ivre") sont dues tout particulièrement à l'opérateur Sergueï Urusevski, dont c'est la troisième et dernière collaboration avec Kalatozov, notamment dans la scène décrite  ci-après par Samuel Blumenfeld : "Soy Cuba fait l'effet d'une hallucination d'inspiration bolchevique, mais hantée par un hédonisme qui l'impose comme un surprenant antidote au communisme. Le réalisme socialiste, déjà très fatigué par les raideurs du stalinisme, est soudainement balayé par les simples mots du "cha-cha-cha". Dans l'une des scènes les plus emblématiques du film, un groupe d'étudiants lance des cocktails Molotov sur l'écran d'un drive-in où sont projetés des images d'actualité du prédécesseur de Fidel Castro, le dictateur Fulgencio Batista. L'écran prend feu, puis se scinde en plusieurs morceaux. Soy Cuba donne l'impression d'un écran gagné par un brasier permanent. Rien ne nous prépare à un tel niveau d'incandescence et au choc visuel provoqué par ce chef-d'œuvre. On n'avait jamais vu ça avant. Et on n'a jamais vu ça après" (Extrait du livret réalisé pour l'édition DVD du film en 2004). On notera encore la scène de l'enterrement d'Enrique, jeune leader mort pour la révolution, dans laquelle "la caméra s'élève lentement dans le ciel dans un long plan en contre-plongée qui se transforme en travelling arrière dans les airs".

Après une première désastreuse en 1964,  ce film maudit ne fut plus  jamais montré hors d'Union Soviétique et de Cuba jusqu'à ce que le Festival de Telluride aux Etats-Unis  organise une rétrospective Kalatozov en 1992.

 

Orientations bibliographiques :

Sur l’œuvre de Kalatozov en général : Marcel MARTIN, "Mikhaïl Kalatozov l'inégal", Ecran, n° 15, mai 1973, p. 17 ; voir dossier de presse sur Soy Cuba (doc. Iconothèque) qui contient, outre des informations sur ce film, une biographie et une filmographie très complètes du cinéaste ; sur l’aspect formaliste chez Kalatozov : Myriam TSIKOUNAS, “Dziga Vertov et Mihail Kalatozov : deux cinéastes au confluent de la fiction et du documentaire”, in Gilles MENELGADO, Claude MURCIA éds, Cinéma documentaire, cinéma de fiction : frontières et passages, Poitiers, La licorne, 1992 / 24, p. 117-130 (doc. Iconothèque) ; sur Soy Cuba explicitement : Noël HERPE, "Soy Cuba", Positif, n° 480, février 2001, p. 94-95 ;  Staphanie MEILHAC, “Soy Cuba. Un poème épique”, mémoire de maîtrise, Université Paris I, 2005, 2 vol. 158 et 110 p. (doc. Iconothèque) ;

Voir aussi le documentaire de Patrick Cazals, L'Ouragan Kalatozov, Paris, CNC, 2011 ; 

Notice créée le 23 Avril 2007. Dernière modification le 3 Juillet 2012.

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