Film de fiction, U.R.S.S., 1966, de Marlen Khoutsiev, en couleur, sonore.
Production : MOSFILM, U.R.S.S., 1966
Durée : 109 minutes.
Version originale : russe
Pluie de juillet se situe dans la lignée du précédent film de Marlen Khoutsiev, La Barrière d'Ilitch, un des seuls films censurés du Dégel, qui sortit après un certain nombre de remaniements, en 1964, sous le titre J'ai vingt ans (voir notice Iconothèque).
Scénario : l'héroïne est une jeune femme de 27 ans, Lena, collaboratrice dans une imprimerie d'art. Lena est fiancée avec Volodia, ingénieur, beau garçon, sérieux, bien sous tous rapports, qui a quelques années de plus qu'elle. Les personnages du film ont la trentaine et appartiennent à une autre catégorie sociale et une autre génération que les jeunes ouvriers de J'ai vingt ans. "Ce sont des cadres installés, des petits-bourgeois rangés, des intellectuels assagis", écrit Marcel Martin. Mais Lena s'ennuie dans le cercle d'amis de Volodia dont elle découvre la vacuité au fil des soirées et des dîners au restaurant. En plein désarroi existentiel – lien avec le film précédent, tout comme l'approche générationnelle – l'héroïne erre, seule, dans la foule bourdonnante de Moscou. Elle a rencontré par hasard dans la rue, un jour d'orage, un jeune homme plus jeune qu'elle, Jenia, qui lui a prêté son blouson, et une idylle s'est ébauchée entre eux au téléphone, sans qu'ils ne se rencontrent. Indécise, Lena n'a rien d'une bezdel'nica : elle aime son travail et pratique un engagement citoyen en faisant du porte-à-porte pour les élections du soviet municipal. Après quelques jours de vacances au bord de la mer, écourtées pour cause de malaise réciproque et d'ennui, Lena déclarera à Volodia qu'elle refuse de l'épouser.
"Il arrive" – dit Khoutsiev – "qu'en atteignant un certain âge, un être modifie les façons de voir qui jusque-là étaient les siennes et qu'll considérait comme justes. On pourrait dire qu'il s'agit d'une 'deuxième maturité'. Les héros du film ont à peu près trente ans. Il arrive très souvent qu'à cet âge précisément survienne une période de réévaluation des positions adoptées auparavant.[...] C'est à cette réévaluation qu'en arrive Lena, héroïne de Pluie de juillet. Il lui faut remettre à plat beaucoup de choses. Elle commence à comprendre que ses anciennes appréciations sont superficielles, que tout se présente devant elle sous un autre éclairage, plus vif et net. C'est parfois lié à une perte. Lena va perdre l'être qui lui était jusque-là le plus cher, qui lui devient étranger et lointain" (1). Naum Kleiman [voir infra] explique pour quoi ce film compte : "Huciev n'avait pas vu les films d'Antonioni. Il a fait par lui-même la découverte de l'aliénation dans la société soviétique : la solitude, la possibilité pour une femme de ne pas être dévorée par la société, mais de décider avec qui elle vit, ce qu'elle fait, où elle va. Il construit ce film non comme une histoire à valeur générale, mais comme une histoire toute personnelle, qui n'en a pas moins un point de vue social".
On a donc un film qui se situe dans l'exact prolongement du Dégel. Par le contenu, d'abord : absence d'action, mal-être et solitude du héros, nastroenie (état d'esprit, humeur) spécifique des šestidesjatniki. Mais aussi par la forme : noir et blanc, rôle majeur de l'opérateur (Khoutsiev a substitué Guerman Lavrov à Margarita Pilikhina, directrice de la photographie pour J'ai vingt ans), insertion dans le film de très longues séquences documentaires sur Moscou, chansons de "bardes" (Youri Vizbor, Boulat Okoudjava), importance de "l'élément naturel" ("pluie" de juillet). Si J'ai vingt ans a été censuré, Pluie de juillet a été peu montré. Outre le message fort sur l'émancipation de la femme, l'approche filmique y est pourtant radicalement neuve. Ainsi Khoutsiev place en tout début de film ce que l'on pourrait appeler des séquences d'images dissonantes auxquelles correspond un son dissonant également, comme une antenne radio déréglée qui sauterait d'une fréquence à l'autre, quelque chose comme un brouillage délibéré du son. S'y ajoutent des changements brutaux dans l'intensité du son. L'objectif semble être de faire percevoir par le spectateur, dès la première scène, le malaise existentiel de l'héroïne. En ce qui concerne l'image, l'atmosphère saturée d'eau et le semi-brouillard permanent qui plombe le ciel moscovite relaient aussi ce mal-être. Autre élément novateur : la fin du film, totalement abrupte. Ainsi Lena, dans une de ses ballades, tombe sur une manifestation de vétérans. Les longues embrassades entre héros fêtant la victoire de 1945 sont filmées sans son, ce qui est contraire à l'habitude des cérémonies militaires et a pour objectif de déconcerter le spectateur. Tout de suite après, la caméra filme très longuement de jeunes adolescents de 15-18 ans, sans son également, qui assistent à cette commémoration sans rien comprendre à ce qui se passe, ni à ce qu'évoque cette victoire. L'effet est foudroyant : Khoutsiev voulait-il montrer par cette scène qui clôt le film une rupture des générations, alors que J'ai vingt ans concluait quelques années plus tôt sur une continuité entre différentes classes d'âge ?
(1) Cité, sans indication de source, dans : Sergej ZEMLJANUHIN, Segida MIROSLAVA (dir.), Domašnjana sinemateka. Otečestvennoe kino, 1918-1996, Moscou, Double-D, 1996, 520 p., p. 186.
Notice créée le 23 Avril 2007. Dernière modification le 13 Juin 2012.