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Paysans (Les)
(КРЕСТЬЯНЕ)

Film de fiction, U.R.S.S., 1934, de Friedrich Ermler, en noir et blanc, sonore.

Production : LENFILM, U.R.S.S., 1934

Durée : 114 minutes.

Version originale : russe

Résumé :

Ermler constitue l’exemple type du cinéaste embrigadé dans les rangs du réalisme socialiste, car Les paysans sont un film de commande sur la collectivisation dont la réalisation est imposée au cinéaste. Ermler  ne connaît rien à la campagne ni à la question des kolkhozes, c’est un pur citadin. Et ce film est à des années-lumière des comédies fines qu’il a réalisées jusque-là, telle Katka pomme de reinette (1926). Réalisées sur un mode divertissant, ses satires sociales de la Nep étaient très prisées du public. A l’extrême opposé, l’échec artistique complet des Paysans sera bien le signe de cette mise en place  autoritaire du réalisme socialiste.

Comme dans La Terre de Dovjenko (1930), l’intrigue se déroule intégralement dans un kolkhoze.  Le thème du film est également la lutte anti-koulak.  L’action se situe un peu plus tard, au début des années 1930, dans un élevage de porcs. Mais là où Dovjenko réalise un film aérien à partir de ce canevas, le scénario des Paysans est lourd, ennuyeux, manichéen. Gerasim Platonovitch est un koulak qui dissimule ses origines. Il s’efforce en secret de mener le kolkhoze à sa ruine en gaspillant délibérément le fourrage qui vient à manquer. Il est marié avec Varvara qui, elle, est une travailleuse de choc s’impliquant totalement en faveur du nouveau régime. Comme le spectateur, elle ignore tout des origines  sociales de son mari — on ne les découvrira qu’à la fin du film dans un grand coup de théâtre. Une intrigue est nouée laborieusement autour de ce problème de fourrage et d’élevage de porcs. La fin est dramatique : conscient que sa femme l’a démasqué en tant que koulak, Gerasim la tue et maquille son crime en suicide par pendaison.

Varvara constitue le héros positif du film, mais un héros d’un type différent du leader charismatique Vassili  de La terre, ou du Sergeev du Chemin de la vie (N. Ekk, 1931). Varvara correspond au concept nouveau qui prend sa place progressivement dans les années trente dans le dogme de la construction du communisme. À la fois celui du travailleur de choc (udarnik / udarnitsa) et celui de l’ « homme simple » soviétique, le prostoj tchelovek, le vrai héros de la base qui construit le communisme sous la houlette du parti. Ce concept de l’ « homme simple » va perdurer jusqu’à la fin de l’URSS et toute ironie à ce sujet est encore systématiquement censurée dans le cinéma des années soixante. On observe donc un basculement dans le personnage à mettre en scène au cinéma : c’est désormais un héros du travail, un héros populaire, un héros de la masse, dans la masse, quoique clairement individualisé, qu’il convient de glorifier. Il ne doit pas émerger de la foule, il incarne cette foule qui construit la nouvelle Union soviétique. Conjointement à cette évolution du héros positif, on voit monter en puissance le rôle du représentant du parti. Progression parallèle dont on a une représentation évidente au cinéma. Il s’agit dans le film du chef de la Section politique du parti,  Nikolaï Mironovitch. C’est lui qui va dénouer toute l’affaire du meurtre de Varvara. C’est clairement lui la figure du représentant de l’État que l’on veut mettre en valeur. Car on a bien un deuxième, qui est le président du kolkhoze. Mais celui-là est présenté dans le film comme faible et noyé dans les conflits locaux du kolkhoze, sans aucune hauteur de vue. C’est donc le chef de la Section politique du Parti qui vient à son secours. C’est lui qui incarne le vrai leader, qui a une carrure humaine, morale autant que politique. Le rôle du président du kolkhoze est totalement évacué au deuxième plan.

Ainsi, se met en place, parallèlement à la consolidation du pouvoir stalinien, un nouvel axe triangulaire, qu’on pourrait appeler le « stéréotype des trois héros ». Premièrement, le représentant du parti qui détient désormais l’autorité. Deuxièmement, le héros positif, l’ « homme simple », le héros de la masse. Ici donc Varvara, dont le portrait est suspendu dans le local du parti avec ceux qui font partie de « l’élite du kolkhoze ». Ce n’est pas un hasard si, durant toute une scène, ce portrait jouxte le visage du représentant du parti et est placé au même niveau sur le plan cinématographique. Varvara la kolkhozienne constitue le personnage principal du film qui cherche à grandir civiquement (il pourrait aussi bien s’agir d’un ouvrier ou d’un mineur…). Enfin troisièmement, le héros négatif, l’ennemi du peuple, ici le koulak. Un héros négatif qui se dissimule et qu’il faut démasquer.

 


 

Orientations bibliographiques :

Éric SCHMULEVITCH, Réalisme socialiste et cinéma. Le cinéma stalinien (1928-1941), Paris, L'Harmattan, 1996, 283 p. ; François ALBERA, "Que peut-on appeler cinéma stalinien ?", in Natacha LAURENT (dir), Le cinéma “stalinien". Questions d'histoire, Toulouse, Presses universitaires du Mirail—Cinémathèque de Toulouse, 2003, p. 19-37 ; K. Feigelson (dir.), "Caméra politique. Cinéma et stalinisme", Théorème, 8, P, Presses Sorbonne Nouvelle, 2005 ; Martine GODET, “Les représentations de l'État stalinien dans le cinéma soviétique (1930-1939), La lettre de l'AREHESS, n° 29, oct-déc. 2002, p. 1-6 (documentation Iconothèque) ;  Voir biographie de Ermler dans Bernard EISENSCHITZ éd., Gels et Dégels. Une autre histoire du cinéma soviétique, Paris, Centre Pompidou-Mazzotta, 2002, p. 92-93 ;

Notice créée le 23 Avril 2007. Dernière modification le 12 Février 2010.

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