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Aerograd
(AЭРОГРAД)

Film de fiction, U.R.S.S., 1935, de Alexandre Dovjenko, en noir et blanc, sonore.

Production : MOSFILM, UKRAINFILM, U.R.S.S., 1935

Durée : 78 minutes.

Version originale : russe

Sous-titres : anglais, français

Résumé :

Synopsis : L'action se déroule au début des années 1930. Un chasseur chevronné, Stepan Glouchak, poursuit dans la taïga das saboteurs qui s'y sont infiltrés à partir de la Mandchourie. Après une longue poursuite, il tue l'un d'eux, un samouraï japonais. L'autre se cache, protégé par le chasseur Khoudiakov, ami de Glouchak. Par ailleurs, le koulak Chabanov parvient à faire se soulever contre les bolcheviks – venus construire la nouvelle ville d'Aerograd – l'ancien village des Vieux-croyants. Glouchak revient avec un détachement liquider l'agitation. Mille avions amènent dans la taïga les constructeurs de la ville nouvelle. Chant d'une imagination visionnaire, Aerograd est un hymne au projet d'une cité radieuse.

Extrait de :  Marcel OMS, "Alexandre Dovjenko", Premier Plan, avril 1968, 130 p. (p. 46-49) :

"Dans une certaine mesure, Ivan [1932] est une œuvre de transition : le héros garde sa dimension paysanne puis s'intègre au monde ouvrier. Dans la forme c'est encore un film qui garde l'esthétique du muet. Avec Aerograd, Dovjenko se tourne résolument vers le futur tout proche et n'hésite pas à s'exiler. 'Après avoir étudié la région de l'Extrême-Orient soviétique, je suis revenu convaincu [...] qu'il fallait tracer une route depuis la chaîne Sakhaline jusqu'à la mer et construire une cité bolchevique et socialiste sur la côte pacifique. Cette cité s'appellerait Aerograd et je considère le titre de mon film comme une prophétie' (A. Dovjenko in Le Journal de Moscou, 22 novembre 1935).

Malgré toutes ses bonnes intentions, le scénario d'Aerograd se heurte à des difficultés bureaucratiques. Dovjenko écrit directement à Staline pour lui demander conseil. Vingt-deux heures plus tard, Dovjenko est invité à venir par Staline à venir lire son script devant lui-même, Vorochilov, Molotov et Kirov. Il recueille un avis favorable et part en expédition pour la Sibérie. En novembre 1935 le film paraît sur les écrans.

Aerograd est à la fois un film d'anticipation et une œuvre contemporaine. Dovjenko y raconte la construction d'une ville 'rempart des soviets' qui sera un immense aéroport. Mais les ennemis du socialisme veillent ('Koulaks et autres malfaisants'), qui tenteront d'empêcher la réalisation d'une entreprise de progrès, fût-ce au prix d'une alliance avec les Japonais.[...]

Le film s'ouvre sur le vol solitaire d'un avion au-dessus des nuages, salué par la musique magistrale de Kabalevski ; le vol vu comme un chant de joie et de vie engendre un ample panoramique sur la Taïga, puis le panoramique à son tour se confond avec le vol 'subjectif' de l'avion qui s'approche rapidement d'un modeste aérodrome : Aérograd !

Le thème est posé, comme un leitmotiv que la musique ne cessera de justifier par la suite, mais il est posé comme dans une ouverture lyrique : vol lent et rectiligne d'un adagio, s'exaltant vite en un long allegro de glissades, de pirouettes, d'accélérations joyeuses qui s'apaisent en un nouvel adagio nous conduisant en vol ralenti vers le lieu dramatique.

Sans transition, brutalement, nous sommes au cœur de la Taïga où éclatent et se répercutent des coups de feu, tandis que des hommes tombent. Le chasseur, un frontalier, solide symbole de force assurée et solide, se lance à la poursuite des deux survivants – des Japonais – sur lesquels il regagne du terrain sans courir, sûr de lui. Les deux fuyards se séparent. Le chasseur finit par en rejoindre un qui, fébrile, haletant, terrorisé, déchire ses vêtements, offre son torse nu, puis fouille dans sa ceinture à la recherche, vraisemblablement, d'un poignard pour le hara-kiri... Mais non, l'homme sort ses lunettes, un carnet et engage un dialogue saccadé, obsédant, intarissable mais inutile. Le paysan épaule et tire.

Après ce début époustouflant, le film ne ralentit pas, nous introduisant dans la vie des paysans sibériens, dans leurs joies et leurs peines, dans leur intimité et dans leur vie collective. 

Le deuxième Japonais semble avoir trouvé refuge dans une cabane au fond des bois où vit le vieux Khudiakov, paysan solitaire et individualiste irréductible, fier chasseur de tigres et peut-être complice inconscient. 

Comme dans Ivan,deux personnages incarnent deux degrés différents de conscience et la comparaison est d'autant plus sensible que le héros négatif est incarné dans les deux films par Stepan Shkurat.

Lorsqu'après diverses péripéties, où le Japonais trouve la complicité d'un pope du village, où s'organisent des groupes de partisans et où un jeune mandchou est retrouvé sans vie au pied d'un arbre, Khudiakov est démasqué pour avoir fait le jeu des Japonais, son vieil ami l'emmène dans la forêt pour le fusiller.

Le traître suivant son  bourreau, commence une longue marche inexorable vers le lieu du supplice. Khudiakov avance la tête basse, vaincu et résigné. Tout à coup, son œil croise le regard de la caméra ; l'homme, alors, se détourne et cache son visage derrière ses mains. Trouvaille géniale, liberté d'un pur metteur en scène par quoi s'exprime soudain toute la conscience d'une certaine spécificité cinématographique : le traître du film, rendu honteux par notre propre regard de spectateurs devenus agissants, n'ose plus paraître devant nous !

Qui plus est, Dovjenko semble avoir placé ce détail à un moment où dans certaines salles un public simple et généreux va crier son mépris et sa haine. Ce geste d'une densité toute brechtienne, acquiert ainsi la valeur d'une réplique directe, d'un échange entre le réalisateur et les spectateurs dont la crédulité va se trouver légitimée et qui, tout naturellement, s'identifieront au vengeur. [...]

Aerograd – la ville aérienne – sera enfin bâtie et un fantastique défilé d'avions et de parachutistes inscrit dans le ciel le triomphe définitif des forces bolcheviques.  De la forêt sortent par centaines des pilotes vêtus de cuir tandis qu'éclatent des choeurs reprenant da capo les airs de l'ouverture" [...]

 

 

 

 

Orientations bibliographiques :

Aleksandr DOVŽENKO, Sobranie sočinenij v 4 t., M, Iskusstvo, 1966-1969 ; L. et J. SCHNITZER, Dovjenko, Ed. Universitaires, 1966 ; Marcel OMS, "Alexandre Dovjenko", Premier Plan, avril 1968, 130 p. ; Barthélémy AMENGUAL, Dovjenko, Paris, Seghers, “Cinéma d'aujourd'hui", 1970 ; Jay LEYDA, Kino. Histoire du cinéma russe et soviétique, Lausanne, L'Age d'Homme, 1976, 533 p. [éd. originale anglaise : 1960] ; François ALBERA (dir), “Dossier Dovjenko", Positif, juillet-août 2000, p. 128-143 ; Lubomir HOSEJKO, Histoire du cinéma ukrainien, Die, Éd. A DIE, 2001, 445 p. ;George O. LIBER, Aleksandr Dovzhenko : a Life in Soviet Film, Londres, British Fillm Institute, 2002 ; Emma WIDDIS, “Borders: The Aesthetic of Conquest in Soviet Cinema of the 1930's", Journal of European Studies, décembre 2000 ; id., Visions of a New Land. Soviet Film from the Revolution to the Second World War, New Haven - Londres : Yale UP, 2003, 258 p. (p.129-130, 142, 153-154) ; 

Notice créée le 23 Avril 2007. Dernière modification le 1 Décembre 2011.

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