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Aimer
(ЛЮБИТЬ)

Film de fiction, U.R.S.S., 1968, de Mikhail Kalik, en noir et blanc, sonore.

Production : MOLDOVA Film, U.R.S.S., 1968

Durée : 74 minutes.

Version originale : russe

Résumé :

Mikhaïl Kalik (1927-?), l'un des réalisateurs les plus doués de la jeune génération des années 1960, a été persécuté en URSS. Tout d'abord, en tant que juif, il a été condamné à la fin de 1951 pour "activité sioniste" ; il sera réhabilité en 1956. Elève de Youtkevitch, Kalik est à l'origine de la production moldave. Il commence par réaliser trois premiers films qui ne sont pas passés à la postérité : La Jeunesse de nos pères (1958), L'Ataman Kodr (1958 ou 1959 selon les sources), La Berceuse (1960). Puis vient en 1961 celui que le cinéaste considère comme son vrai début,  L'Homme va vers le soleil (Человек идёт за солнцем ), essai d'avant-garde plastique (en couleur) sur les pérégrinations d'un gamin qui découvre le monde dans les rues de Moscou. Soit une tentative proprement révolutionnaire pour retrouver l'inspiration de l'avant-garde et sa conception du cinéma comme un art essentiellement visuel. Mikhaïl Kalik : "L'homme suit le soleil a été mon vrai début. Je m'y étais trouvé moi-même, ainsi que mon langage, ma vision des choses. [...] En premier lieu, la subjectivité de ma vision [...] puis la liberté de l'exposition [...] enfin le temps comme existence, comme mystère. [...] Ces recherches, en même temps que celles de Tarkovski et de Paradjanov, furent définies par les critiques comme nouveau cinéma poétique" (1).

En 1965, Kalik réalise à Mosfilm (en noir et blanc) Au revoir les garçons (До свидания, мальчики!), film adapté d'un roman pour la jeunesse, qui met assez vivement en  question les méthodes d'éducation soviétiques en proposant une peinture ironique de la formation de ses "jeunes héros" frivoles et superficiels. L'action se déroule en 1941. Trois jeunes gens d'Odessa, dont un juif, viennent de terminer avec succès leurs études secondaires. Ils partent en vacances insouciants, heureux de vivre et d'éprouver amitié et premières émotions amoureuses. Ils sont confiants en l'avenir mais ne savent pas que la guerre est imminente. Dans ce film, "Kalik reste fidèle à sa veine poétique, mais en mineur, pour évoquer les souvenirs de trois adolescents de l'avant-guerre. Des intertitres subjectifs ('Je me souviens', 'J'avais dix-huit ans', 'Au début il me semblait que je n'avais que des joies', etc.) jalonnent cette chronique des dernières heures de la paix où s'insèrent des séquences d'actualités montrant la montée du péril nazi, puis la guerre et la déportation. C'est le survivant qui raconte car, de ses deux camarades mobilisés comme lui, l'un (disent les intertitres) est mort au front en 1941, l'autre, fait prisonnier, a été envoyé à son retour dans un camp où il est mort avant d'être réhabilité en 1956. C'est le premier film qui évoque si clairement le triste sort de certains prisonniers rapatriés et il abonde en notations critiques mineures mais percutantes tandis que sa tonalité générale, tour à tour enthousiaste et nostalgique, attendrie et ironique, joue en  contrepoint avec la splendeur lumineuse des images (signées par un grand opérateur, Levan Paatachvili) et trouve son apogée dans la séquence finale, flashback émouvant, où la petite amie du récitant court après le train qui emporte les trois mobiilisés en leur criant 'Au revoir, les garçons !' " (2). Kalik rencontrera beaucoup d'obstacles avec ce film qu'il considère comme son chef-d'œuvre. Après la destitution de Khrouchtchev, Au revoir les garçons est retenu pendant dix-huit mois par les autorités et ne sortira, sur décision de Mikhaïl Souslov, qu'en tirage limité, presque sans publicité et interdit à l'exportation.

Kalik retourne en Moldavie où il se sent plus libre. Il y tourne en 1968 un film expérimental, Aimer (Любить), dans lequel il juxtapose des épisodes de fiction sur le thème de l'amour (3) avec des entretiens (micro-trottoirs (4) enregistrés auprès de jeunes, d'intellectuels, et du prêtre Alexandre Men, en leur posant à tous une unique question : "que veut dire 'aimer' ?". Des citations du Cantique des Cantiques émaillent l'ensemble. Tourné sans encombres, le film est approuvé par les autorités locales mais bloqué par Moscou – on est en 1968, soit dans une des phases de censure les plus fortes. Après que Kalik a refusé de couper des fragments entiers de son film, le Goskino / URSS fait amputer celui-ci par une intervention extérieure. Aimer est officiellement censuré pour "formalisme". A nouveau le film n'est distribué en URSS qu'après beaucoup d'hésitations, et très sélectivement ; et pas du tout à l'étranger. Le film a été tiré en 50 copies en 1969, puis retiré de l'écran à la fin de la même année, suite à l'émigration de Kalik en Israël. Il sera restauré en Israël en 1990. Officiellement, c'est donc Aimer, le dernier film de Kalik réalisé en URSS, qui prend la censure de plein fouet. En réalité, cette mesure s'adresse à l'ensemble de l'œuvre du cinéaste, une œuvre trop personnelle et qui pèche tout entière par formalisme. Mais, au-delà du formalisme, c'est le thème  juif qui affleure dans certains de ses films, interprétés de surcroît par un certain nombre d'acteurs juifs, qui est reproché au réalisateur de manière sous-jacente (sur ce thème, on trouvera un descriptif précis des éléments juifs dans les films de Kalik, dans un extrait de la Краткая Еврейская Энциклопедия, à l'adresse suivante < http://www.mjcc.ru/news/2516> ).

Kalik se décide alors à demander un visa d'émigration pour Israël. Entretemps il a tourné pour la télévision soviétique une adaptation d'une nouvelle d'Arthur Miller, intitulée Le Prix (Цена) qui sera censurée elle aussi.  Il quitte l'URSS en 1971. Il tournera un film en Israël en 1975, Three and One. Il  reviendra en URSS vingt ans plus tard, en 1991, à la fin de la perestroïka, pour la première de son film autobiographique, tourné en Israël la même année et intitulé Le Retour du vent... (и возвращается ветер...). Entretemps, le film Aimer a été retiré de "l'étagère" par la Commission des Conflits mise en place en 1986  par le Ve Congrès de l'Union des Cinéastes, et restauré en Israël.

Cette version du film Aimer a été enregistrée à la première chaîne de télévision soviétique, en 1991, dans le cadre d'une  rétrospective des films de Kalik à l'occasion de la première du Retour du vent.  Le film est précédé d'une présentation, intitulée "Retour pour une première", montrant le retour du réalisteur en Russie.  Cette présentation est accompagnée d'extraits de ses films, ainsi que d'une interview des trois interprètes principaux de Au revoir les enfants ! (Kolia Dostal, Micha Kononov, Jenia Steblov).

(1) Giovanni Buttafava (dir.), Aldilà des disgelo-Cinema sovietico degli anni Sessanta, Milan, Ubulibri, 1987, p. 48 [cité dans Marcel Martin, voir infra, p. 35].

(2) Extrait tiré de : Marcel Martin, voir infra, p. 42.

(3) Quatre nouvelles sur l'amour, adaptées de récits de I. Droutsé, A. Zak, I. Kouznetsov, You. Kazakov, V. Sapojnikov.

(4) Entretiens tournés par Inna Toumanian.

 

Orientations bibliographiques : Marcel MARTIN, Le cinéma soviétique de Khrouchtchev à Gorbatchev, Paris, L'Age d'Homme, 1993, 223 p. ; Valerij FOMIN, (dir.), Kino i vlast’. Sovetskoe kino : 1965-1985 gody [Cinéma et pouvoir. Le cinéma soviétique : les années 1965-1985], Moscou, Materik, 1996, 370 p. ; Mikhaïl KALIK (Interview de), in Valerij FOMIN (dir.), Kinematograf ottepeli. Dokumenty i svidetel’stva [Le cinéma du Dégel. Documents et témoignages], Moscou, Materik, 1998, 458 p. (p. 218-219) ; Gabrielle CHOMENTOWSKI, "Les Juifs dans le cinéma soviétique de Khrouchtchev à Gorbatchev", DEA, Institut d'Etudes Politiques de Paris, 2004, 137 p. ; Martine GODET, La pellicule et les ciseaux. La censure dans le cinéma soviétique du Dégel à la perestroïka, Paris, CNRS Editions, 2010, 308 p.) ; Natacha LAURENT, Valérie POZNER (dir.), Kinojudaica : Les représentations des Juifs dans le cinéma de Russie et d'Union Soviétique, des années 1910 aux années 1980, Paris, Nouveau Monde Editions / La Cinémathèque de Toulouse, 2011, 585 p. ;

Notice créée le 23 Avril 2007. Dernière modification le 12 Juin 2012.

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