iconothèque Retour au site de l'EHESS Site du CNRS Site du CERCEC

Moscou ne croit pas aux larmes
(МОСКВA СЛЕЗAМ НЕ ВЕРИТ)

Film de fiction, U.R.S.S., 1979, de Vladimir Menchov, en couleur, sonore.

Production : MOSFILM, U.R.S.S., 1979

Durée : 151 minutes.

Version originale : russe

Résumé :

Le film est divisé en deux parties. La première, qui débute sous Khrouchtchev en 1958, est axée sur la vie et les amours de trois jeunes provinciales fraîchement débarquées de la province à Moscou, la capitale exerçant toujours la même fascination. Katia (Vera Alentova) a raté l'examen d'entrée à la fac de médecine et travaille dans une usine tout en se préparant à repasser les épreuves l'année suivante. Jeune femme droite et pleine de caractère, elle est décidée à réussir sa vie professionnelle par son travail et son talent. C'est elle l'héroïne du film et, des trois, celle qui incarne le mieux le schéma  soviétique de promotion de la femme. Katia partage une chambre dans un foyer d'étudiantes avec Liouda et Tonia, qui travaillent dans une boulangerie industrielle. Tonia, qui incarne l'approche traditionnelle, se déniche très vite un gars de la campagne et va trouver le bonheur en construisant une famille auprès de cet homme simple et bon. Quant à Liouda, issue comme ses deux camarades d'un milieu populaire, c'est sur son charme qu'elle compte pour s'élever dans l'échelle sociale en séduisant un homme d'une condition supérieure à la sienne. L'occasion se présente rapidement : un oncle de Katia, le professeur d'université Tikhomirov, qui vit dans l'un des gratte-ciel construits au début des années cinquante pour loger la nomenklatura, propose à sa nièce de s'installer chez lui une quinzaine de jours pendant ses vacances. Liouda, qui s'est empressée d'emménager avec Katia, organise avec aplomb un dîner où sont invités un joueur de hockey professionnel, Gurin (dont elle tombera amoureuse) ainsi que Rudolf, cameraman de télévision (dont va s'enticher Katia), leurs hôtes étant persuadés d'avoir affaire à des héritières de la nomenklatura. L'affaire tourne mal : Katia tombe enceinte de Rudolf et est abandonnée par son séducteur. Mère célibataire, elle élèvera seule sa fille.

David Gillepsie a scrupuleusement noté les détails qui ancrent cette section du film dans la période  du Dégel. Dans le domaine culturel : insistance sur les jeunes poètes (Evtouchenko, Rojdestvenski), émergence de la télévision, célèbre duo comique sur le petit écran, etc. ; une attention spéciale est accordée à la bande-son et notamment au mélange de musique russe et occidentale écoutée par ces jeunes (1). Dans la sphère économique, on observe des signes d'amélioration de la vie quotidienne : le fiancé de Tonia, Kolia, a une voiture, ses parents ont une datcha avec un réfrigérateur... Une emphase particulière est mise dans le film sur la télévision, nouveau medium apparu avec le Dégel, appelé à remplacer tous les autres dans le discours de Rudolf. Néanmoins, la séquence drolatique de l'interview télévisée à l'usine de Katia montre le verrouillage des médias puisque les réponses sont dictées d'avance à  l'interviewée ; dans cette même scène, les rapports de travail mettent en lumière le mépris écrasant des vedettes de l'écran à l'égard des subordonnés. Moscou ne croit pas aux larmes présente ainsi, dans cette première partie, une société khrouchtchevienne où les rapports sociaux sont inchangés : la mère de Rudolf, femme abusive qui téléguide l'ascension sociale de son fils, assène à Katia : "Vous n'êtes pas la fille d'un professeur riche et célèbre"..., "il n'y a aucun rapport entre votre condition et la nôtre". Les rapports hommes/femmes sont figés à l'avenant.

La seconde partie se déroule vingt ans plus tard, à la fin des années 1970. Katia a 40 ans et est à la tête d'un complexe chimique de 3000 ouvriers. Elle habite un spacieux appartement, a une voiture personnelle, s'habille avec élégance, fait ses courses dans un supermarché débordant de victuailles. L'égalité des chances a marché à plein puisque, ancienne ouvrière, Katia a grimpé tous les échelons de l'ascenseur social pour devenir directrice d'usine. C'est l'époque brejnévienne triomphante. La jeune femme, qui vit seule avec sa fille Alexandra, est encore  séduisante. Un jour, elle rencontre par hasard Gocha, ouvrier ajusteur au charme foudroyant (Alexeï Batalov). Le conte de fées peut s'enclancher. Le film flatte alors tous les instincts machos du grand public : Gocha est un homme viril qui entend être le maître à la maison, même s'il est un ouvrier spécialisé ; l'émancipation de la femme s'arrête à la maison. On notera par ailleurs un marqueur de l'époque brejnévienne dans la reconnaissance du phénomène de l'alcoolisme comme problème social en URSS. 

Cette œuvre romantique est devenue un film culte en URSS, comme aux Etats-Unis. Etait-ce du côté de Hollywood que lorgnait Vladimir Menchov avec Moscou ne croit pas aux larmes ? – s'interroge Marcel Martin : ce portrait "correspond tout à fait au schéma hollywoodien de la recherche du succès et du bonheur et suscite naturellement l'adhésion du public, en URSS comme aux USA". Le film a reçu l'Oscar du meilleur film étranger à Hollywood en 1981, ainsi que de nombreux prix en Europe. Par ailleurs, Andrei Plakhov souligne que "[nos] réalisateurs d'avant-garde sont allés bien loin dans leurs recherches d'un nouveau langage cinématographique, tandis que le spectateur exigeait des formes plus démocratiques et plus faciles à comprendre". Le succès du film correspondrait ainsi à l'aboutissement d'un courant multiforme d'aspiration du public à un cinéma (plus) populaire. Au-delà, il semble que l'objectif même de Moscou ne croit pas aux larmes ait été de célébrer la période brejnévienne et de dévaluer le Dégel en faisant l'apologie d'une société plus mûre, économiquement plus accomplie (!) après les années folles de Khrouchtchev (cf. Anna Lawton). A la différence des films d'Eldar Riazanov, qui ont obtenu le même succès – colossal – auprès du public soviétique mais avec bien plus d'audace dans la satire sociale, on décèle donc in fine  une bonne part de conformisme chez Vladimir Menchov.

L'aura de Moscou ne croit pas aux larmes n'a jamais faibli en URSS (2e place au box office soviétique en 1980 avec 84,4 M de spectateurs). Son réalisateur – qui a également fait une carrière d'acteur – renouera en 2000 avec la gloire grâce à La Jalousie des dieux.

(1) Lors de la soirée où Rudolf, caméraman de télévision, séduit Katia,  dans l'appartement prêté par les Tikhomirov, la scène d'amour se déroule sur fond du tube "Besa me mucho".

Orientations bibliographiques : Françoise NAVAILH, "La femme dans le cinéma soviétique contemporain", in Marc Ferro (dir.), Film et Histoire, Paris, Editions de l'EHESS, 1984, p. 155-161 ; Andrei PLAKHOV, Le cinéma soviétique, Moscou, Agence Novosti, 1988 ; Anna LAWTON, Kinoglasnost. Soviet Cinema in our Time, Cambridge, Cambridge UP, 1992, 288 p. (p. 17-19) ; Marcel MARTIN, Le cinéma soviétique de Khrouchtchev à Gorbatchev, Paris, L'Age d'Homme, 1993, 223 p. (citation p. 111) ; David GILLEPSIE, "Moskva slezam ne verit. Moscow doesn't believe in Tears", in Birgit Beumers (dir.), The Cinema of Russia and the former Soviet Union, Londres, Wallflower Press, 2007, p.193-201;

Notice créée le 23 Avril 2007. Dernière modification le 16 Avril 2012.

© 1985-2008 EHESS, CERCEC, CNRS — Réalisation : CERCAccès réservé