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Commissaire (La)
(КОМИССAР)

Film de fiction, U.R.S.S., 1967, de Alexandre Askoldov, en noir et blanc, sonore.

Production : STUDIO GORKI, U.R.S.S., 1967

Durée : 110 minutes.

Version originale : russe

Sous-titres : français

Résumé :

Le scénario est tiré de la nouvelle de Vassili Grossman, Dans la ville de Berditchev, et complété par des extraits de récits d'Isaac Babel. L’action se déroule pendant la guerre civile. Un détachement de l’Armée rouge entre dans une petite bourgade d’Ukraine que les Blancs viennent d’abandonner. Klavdia Vavilova, la commissaire politique du régiment, est un mastodonte inflexible et bourru. Enceinte, elle doit bientôt accoucher. Ses supérieurs contraignent une famille juive à l’accueillir. Le père, Efim Magazanik (interprété par Rolan Bykov), est fer-blantier. Après avoir protesté contre l’Armée Rouge qui se préoccupe aussi peu du sort des pauvres gens que les Blancs, il adopte Vavilova, comme toute sa nombreuse famille. Au contact de cette atmosphère chaleureuse où la politique n’a pas de place, Klavdia s’humanise progressivement. La jeune femme d’Efim et l’aïeule qui ne parle que yiddish (interprétée par l'une des dernières actrices vivantes du Théâtre Mikhoels, Lioudmila Volynskaïa) l’aident à accoucher. Touchée par une tendresse inconnue, la commissaire murmure à son bébé la berceuse que sa propre mère lui chantait. Lorsque les Blancs reprennent la ville, elle attend, cachée dans une cave avec les civils, que l’orage passe. Mais les Rouges doivent quitter Berditchev et Vavilova est confrontée à un choix : renoncer à la Révolution ou abandonner son enfant à la famille qui l’a hébergée. Elle choisit la deuxième solution.

Les motifs de censure sont au nombre de deux. Le premier consiste en une représentation iconoclaste de la Révolution. Ce que montre La commissaire, c’est l’inhumanité de la guerre civile dans laquelle les deux camps sont indifférents aux souffrances de la population civile. La Révolution est présentée comme une force contraire à la nature de l’homme, comme un phénomène qui introduit l’aliénation dans les rapports entre les êtres, qui mène à des situations sans issue. Elle est même opposée à la maternité. La révolution trahit son idéal de bonté et de justice. Deux conceptions s’affrontent : la commissaire rouge est prête à mourir pour sa cause ; en réponse à cela, le juif Magazanik demande : “ Et quand vivre? Et pourquoi tout cela? ”. Pour Askoldov, c’est bien lui le héros positif du film, qui prône une “ Internationale de la Bonté ”. Le deuxième motif de censure est que le réalisateur dépeint tout au long du film la culture juive de manière positive. Il a en outre l’audace de présenter une vision prémonitoire de la Shoah et de l’extermination à venir des juifs dans les camps. Or, depuis la guerre, non seulement l’Holocauste a été occulté à l’écran soviétique sauf en de très rares exceptions, mais le juif est une non-personnne au cinéma. Selon  Vladimir Dmitriev (directeur du Service International du Gosfilmofond en 1998) : “ Il n’y avait pas d’antisémitisme dans le cinéma sous Brejnev. Il y avait quelque chose d’autre : il y avait exclusion du peuple juif [...] de la catégorie des problèmes qu’on avait le droit de traiter. Il ne fallait rien dire du tout sur les juifs : ni pour, ni contre. […] On s’efforçait de parler des juifs le moins possible. […] Je le répète, le problème juif était en dehors de toute discussion. Sur ce plan, c’était comme si ce thème n’existait tout simplement pas”.

Le sort de La Commissaire est scellé par la guerre des Six-Jours de 1967 et la rupture des relations diplomatiques avec Israël : le film est frappé d’interdiction absolue fin juillet 1968 et échappe de justesse à la destruction. Cette œuvre restera inconnue de tout public jusqu'à la perestroïka. En février 1988, le film remporte l'Ours d'Argent au Festival de Berlin.
 

 

Orientations bibliographiques :

Françoise NAVAILH, "La commissaire de Berditchev, une nouvelle de V. Grossman, un film de A. Askoldov”, Pardès, Éd. Jean-Claude Lattès, 8/1988, p. 211-221 ; Elena STIŠOVA, "Strasti po komissaru”, Iskusstvo kino, 1, 1989, p. 110-121 ; Valeri FOMIN, Polka [L'Etagère], Moscou, 1992, p. 63 (Archives du RGALI /anciennement TSGALI), f. 2944, op. 4, ed.hr. 937a ; I. ZARETSKAIA-BALSENTE, Les intellectuels et la censure en URSS, P : L'Harmattan, 2000, 404 p. ; Martine GODET, La pellicule et les ciseaux. La censure dans le cinéma soviétique du Dégel à la perestroïka, Paris, CNRS Editions, 2010, 308 p.   [thèse EHESS, 2000] ; Cécie VAISSIÉ, “La non-existence, punition des artistes soviétiques non conformes. Le cas d’Alexandre Askoldov et de son film, La commissaire”, Communisme, 2002, fascicule 70-71  ; М. ЧЕРНЕНКО, Красная звезда, жёлтая  звезда: кинематографическая история еврейства в России, 1919-1999, M, Глобус-Пресс, 2003, 430 с. ; Gabrielle CHOMENTOWSKI, "Les Juifs dans le cinéma soviétique de Khrouchtchev à  Brejnev", Mémoire de DEA, IEP Paris, 2004, p. 49-60 ; Олег В. БУДНИЦКИЙ, Российские евреи между красными и белыми (1917-1920), M, РОССПЕН, 2005 ; Denise J. YOUNGBLOOD, Russian War Films. On the Cinema Front, 1914-2005, Lawrence (KS), University of Kansas Press, 319 p., 2007 (ch. 6 : "The Stagnation, 1967-1971", p. 142-163 ; sur ce film : p. 156-158) ;Natacha LAURENT, Valérie POZNER (dir.), Kinojudaica : Les représentations des Juifs dans le cinéma de Russie et d'Union Soviétique, des années 1910 aux années 1980, Paris, Nouveau Monde Editions / La Cinémathèque de Toulouse, 2011, 585 p. ;

Notice créée le 23 Avril 2007. Dernière modification le 3 Octobre 2012.

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