iconothèque Retour au site de l'EHESS Site du CNRS Site du CERCEC

Armavir (L')
(AРМAВИР)

Film de fiction, U.R.S.S., 1991, de Vadim Abdrachitov, en couleur, sonore.

Production : Studio Arkfilm + Firme Sojuz, U.R.S.S., 1991

Durée : 130 minutes.

Version originale : russe

Résumé :

Un immense paquebot de tourisme, L'Armavir, chavire en mer Noire. Un certain nombre des passagers qui ont survécu à la catastrophe, frappés d'amnésie, ne reconnaissent plus leurs proches. C'est pour ces derniers, pourtant restés à terre, que l'épreuve est la plus terrible : tout au bonheur de retrouver vivants leurs naufragés, ils perdent pied à leur tour et basculent dans la folie en constatant que  leur rapport à un passé commun s'est évanoui et qu'ils sont face à des étrangers.

Le héros principal, Sëmin (Sergueï Koltakov), qui n'a pas embarqué sur L'Armavir, est à la recherche d'une jeune femme  qui se trouvait à bord, Marina (Elena Chevtchenko) : cette quête va se prolonger pendant toute la durée du film. Très vite, il réalise qu'un autre homme, Aksiouta (Sergueï Chakourov) cherche la même femme : entre eux vont se nouer des rapports complexes faits de méfiance teintée de violence, puis de compassion réciproque. En retrouvant Marina à la fin du film, ils réaliseront tous deux que l’un est son père et l’autre son amant. Mais la jeune femme, qui prétend s'être toujours appelée Larissa, se refuse à les reconnaître. Entretemps, grâce une série de flashbacks successifs, le spectateur a saisi que la jeune femme n'avait plus de contacts avec son père depuis de nombreuses années et qu'elle n'était plus amoureuse de son compagnon. L'interrogation sur son amnésie, réelle ou simulée, reste entière.

Deux interprétations  du film semblent possibles. La première le voit comme une métaphore du rapport au passé "englouti" de ceux qui ont été partie prenante du naufrage du vaisseau “URSS”. Marilyne Fellous (voir infra) imagine les citoyens soviétiques comme des passagers de L'Armavir, coupés du monde extérieur dans une URSS qui a tracé pendant 70 ans une route à part (le film est tourné en 1991). Une  seconde, complémentaire de la première, pourrait voir cette œuvre comme une allégorie de l'aliénation, ou plutôt de l'"ensauvagement", des rapports sociaux  à la fin de l'URSS. Les êtres humains, plus particulièrement les hommes chez Abdrachitov/Mindadze, sont hagards, perdus sans femmes (dans ce film précisément), sans équilibre, sans repères, dans un monde qui bascule. La détresse du héros face à l'engloutissement de la mémoire devient par instants physiquement insupportable pour le spectateur. Le déchaînement des pulsions qui s'ensuit est la conséquence de cette perte de sens. La musique du film, composée par Vladimir Dachkevitch, renforce cette tension extrême. Cette lecture semble confortée par Nancy Condee (voir infra) qui utilise l'expression de "communauté de somnambules" pour définir les personnages mis en scène par le tandem Adbrachitov/Mindadze. Soit un terme qui évoque immanquablement le héros endormi, emporté par un métro indifférent, frappé de "syndrome asthénique" du film éponyme de Kira Mouratova (1989). On a là deux interprétations qui se rejoignent d'une société soviétique exsangue au sens premier du naufrage de la relation entre les êtres. L'Armavir est sans nul doute l'un des films les plus sombres et les plus marquants de la fin de l'époque soviétique.


 

 

Orientations bibliographiques :

Vladimir PADUNOV et Nancy P. CONDEE, “Recent Soviet Cinema and Public Responses : Abdrashitov and German”, Framework , 29 (1985), pp. 42-56 (cet article analyse toute l’oeuvre de Abdrachitov jusqu’à La parade des planètes mais donne beaucoup d’éclairages sur ce film qui est postérieur) ; Dmitry et Vladimir SHLAPENTOKH, Soviet cinematography. 1918-1991. Ideological conflict and social reality, New York, Aldine de Gruyter, 1993, p. 206 ; O. ANDREEVA, “Otečestvennoe kino v licah : Vadim AbdraŠitov -- Aleksandr Mindadze”, Kinematograf, 5 (1998): 34-73 ; Eugenia GAGLIONONE, Fiammetta GIROLA, Bruno FORNARA (dir), Vadim Abdrasitov, Bergame, Media, 2000 (voir notamment dans cet ouvrage : E. GAGLIANONE, “La messinscena della vista: Intervista a Vadim Abdrasitov” /p. 21-46/, B. FORNARA, “Balli boschi mare padrone servo treni” /p. 63-71/, Luciano BARISONE, “Il dritto e il rovescio: La chimica della vita secondo Vadim Abdrasitov /p. 11-20/) ; Nancy CONDEE, The Imperial Trace. Recent Russian Cinema, Oxford-Londres, Oxford UP, 2009, 352 p. (ch. 5 : "Vadim Abdrashitov-Aleksandr Mindadze: A Community of Somnambulants", p. 141-158) ; Marilyne FELLOUS, "Le cinéma russe, vingt-cinq ans déjà", http://www.kinoglaz.fr ;

Voir aussi une émission télévision (diffusée sur la chaîne de télévision russe ORT le 12/11/1992) sur le tandem Abdrachitov/Mindadze ; 

Notice créée le 23 Avril 2007. Dernière modification le 20 Avril 2012.

© 1985-2008 EHESS, CERCEC, CNRS — Réalisation : CERCAccès réservé