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Quand passent les cigognes
(ЛЕТЯТ ЖУРAВЛИ)

Film de fiction, U.R.S.S., 1957, de Mikhail Kalatozov, en noir et blanc, sonore.

Production : MOSFILM, U.R.S.S., 1957

Durée : 97 minutes.

Version originale : russe

Résumé :

Quand passent les cigognes est un film phare du Dégel, sacralisé par une Palme d’or au festival de Cannes en 1958.  Tout comme Le Quarante-et-unième (1956) et La Ballade du soldat (1959) de Grigori Tchoukhraï, ou Le Destin d'un homme  de Sergueï Bondartchouk (1959), ce film a consacré, pour le monde entier, l’ouverture de l’URSS après la mort de Staline et la renaissance du cinéma russe.

Scénario : "La guerre a séparé les amoureux Veronika et Boris. Il est parti pour le front comme volontaire. Ayant perdu ses parents lors d'un bombardement,  Veronika s'est installée dans la famille de Boris. Depuis longtemps, on ne reçoit plus de nouvelles de Boris. La jeune fille cède aux instances du frère de Boris, Mark, et l'épouse. Boris tombe au front, mais sa famille l'ignore. Le père et la mère de Boris, ainsi que Veronika, travaillent dans un hôpital. Veronika voit combien les blessés sont sensibles à la fidélité de leurs proches. Elle commence à réaliser qu'elle a commis une faute. Elle sait que Mark a réussi à se planquer. Elle le quitte. Veronika attend Boris avec espoir et crainte, ne croyant pas à la nouvelle de sa mort. Elle se rend à la gare pour l'accueillir parmi les soldats de retour du front et leur distribue les fleurs qu'elle lui destinait" (1)(2).

Le renouveau du Dégel, en lien avec la déstalinisation, consiste en un retour aux idéaux de la Révolution, c’est-à-dire aux canons artistiques de l’avant-garde des années 1920. Les réalisateurs "redécouvrent" ainsi un nouveau langage cinématographique, à la fois par la forme et le contenu. Sur le plan de la forme, ce langage passe par une libération de l'aspect visuel au cinéma : primauté accordée à l'image, noir et blanc, multiplication des gros plans, importance essentielle conférée au montage. Le rôle de l’opérateur passe au premier plan, avec Sergueï Ouroussevski en tout premier lieu, qui est le précurseur de ce nouveau courant (3) et l'inventeur de la "caméra subjective" : "This means the movement of the camera,  which de-conventionalizes traditional, familiar perceptions of the world by revealing completely unexpected vantage points, extreme in their expressivity".[...]"At times Urusevskii's camera flies upwards to such a height —  in the literal and figurative sense [...]". "The microcosm of an individual human life collides with nature's microcosm, an instant collides with eternity. This view from above, as if from another world — from divine hights —  is the point of view of eternity, which belongs to nature. What Urusevskii introduced to Soviet film was nature's point of view" [E. Margolit, voir ci-dessous]. Evgueni Margolit met en évidence que, par opposition au cinéma soviétique de la période stalinienne, qui avait tendu à une subordination totale de la nature, à une tentative d'échapper pleinement au pouvoir des lois naturelles, la libéralisation qu'incarne le Dégel commence  par un retour à la nature, par une sorte de refonte dans le cycle naturel. Ce changement aurait précédé l'humanisation des personnages  et ce serait précisément ce phénomène qui aurait libéré le héros de ses " contours épiques". En un mot, les changements dans la forme auraient devancé, et impulsé, ceux du contenu.

Sur le plan du contenu, l’essence de ce nouveau courant cinématographique réside dans une mouvance anti-héroïque. Le point commun à de nombreuses œuvres du Dégel est que, s’il s’agit toujours de films « de guerre », thème omniprésent dans la littérature et le cinéma russes depuis 1945, leurs réalisateurs le traitent à partir de points de vue jusque-là impossibles à aborder. Dans son film, Kalatozov montre moins les faits militaires que les souffrances liées à la guerre ; et il va encore plus loin en dévoilant que les réactions de l'individu face à cette guerre incluent  également trahison, bassesse, culpabilité et rachat.

Analyse du film tirée de : Maurice BARDÈCHE, Robert BRASILLACH, Histoire du cinéma, vol. II, P, Le Livre de Poche, rééd. 1966, p. 467 : "Quand passent les cigognes est une histoire de l'arrière pendant la guerre qui a le mérite de rompre avec le conventionnel : il y a des embusqués, il y a des tièdes, des découragés, des fatigués, il y a le marché noir et la pagaille, des bombardements, des évacuations tragiques, il y a des salauds, enfin une Russie en guerrre qui est autre chose qu'une fresque officielle. Cette vérité, qui permet de mesurer tout ce qu'il y a de nouveau dans le cinéma soviétique, est, probablement, l'élément le plus durable et le plus solide du film. Les acrobaties acrobatiques, les vues plongeantes, la virtuosité tapageuse de la prise de vue qui ont provoqué l'admiration des naïfs, constituent, certes, une réapparition du style dans le cinéma russe, mais elles éblouissent beaucoup moins ceux qui sont familiers avec l'expressionnisme allemand dont elles sont l'héritage. Malgré ces défauts, c'est avec plaisir qu'on signale cette résurrection du cinéma russe dont le film de Kalatozov fut le premier signal".

(1) Scénario tiré de : Jean-Loup Passek (dir)., Le cinéma russe et soviétique, Paris, Ed. du Centre Pompidou, 1981, 343 p.  (p. 229-230).

(2) Le scénario est tiré d'une pièce de Viktor Rozov, intitulée Vivants pour l'éternité.

(3) Il s'agit de la deuxième collaboration d'Ouroussevski avec le réalisateur Mikhaïl Kalatozov (après Le Premier convoi, 1955), qui se poursuivra avec La Lettre inachevée (1959)  et Soy Cuba (1964).


 

 

 

Orientations bibliographiques :

Sur ce film, voir notamment Maurice BARDÈCHE, Robert BRASILLACH, Histoire du cinéma, vol. II, P, Le Livre de Poche, rééd. 1966, p. 461-470 ; Sur le cinéma du Dégel : Alexander PROKHOROV, "The Unknown New Wave: Soviet Cinema of the 1960s", in Alexander Prokhorov, ed., Springtime for Soviet Cinema. Re/Viewing the 1960s, Russian Film Symposium, Pittsburgh, 2001, p. 7-28 ; Evgenii MARGOLIT, "Landscape, with Hero", in Alexander Prokhorov, ed., Springtime for Soviet Cinema. Re/Viewing the 1960s, Russian Film Symposium, Pittsburgh, 2001, p. 29-50, en particulier p; 37-38 ; Bernard EISENSCHITZ (dir), Gels et Dégels. Une autre histoire du cinéma soviétique, Paris, Centre Pompidou-Mazzotta, 2002 (voir plus particulièrement p. 142-143) ; Denise J. Youngblood, Russian War Films. On the Cinema Front, 1914-2005, Lawrence (KS), University of Kansas Press, 319 p., 2007 (ch. 5 : "The Thaw, 1956-1966", p. 107-141 ; sur ce film : p. 118-121) ; Martine GODET, La pellicule et les ciseaux. La censure dans le cinéma soviétique du Dégel à la perestroïka, Paris, CNRS Editions, 2010, 308 p. [thèse EHESS, 2000] ;

Voir aussi le documentaire de Patrick Cazals, L'Ouragan Kalatozov, Paris, CNC, 2011 ; 

Notice créée le 23 Avril 2007. Dernière modification le 3 Juillet 2012.

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