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Obier rouge (L’)
(КAЛИНA КРAСНAЯ)

Film de fiction, U.R.S.S., 1973, de Vassili Choukchine , en couleur, sonore.

Production : Mosfilm, U.R.S.S., 1973

Durée : 108 minutes.

Version originale : russe

Résumé :

Vassili Choukchine (1929-1974) a été à la fois écrivain, réalisateur et acteur. Né aux pieds des montagnes de l'Altaï, aux confins de la république de Mongolie, il est fils de paysans sibériens et se revendique avant tout comme un homme de la campagne : "Le thème principal de mes récits et de mes films reste la campagne"1.  "[...] Dès que quelqu'un, quelque part, prononce le mot 'Altaï', je sursaute et un sentiment brûlant envahit immédiatement mon cœur. Jusqu'à la douleur... Quand je mourrai, et s'il me reste encore un peu de conscience, à la dernière minute je penserai à ma mère, aux enfants, et à la terre natale qui vit en moi. Rien d'autre ne m'est aussi cher"2.

Pendant la guerre, le jeune garçon doit interrompre ses études à 14 ans, en septième classe, pour aller travailler. Après la guerre, il quitte le village pour aller trouver du travail à la ville. Ce n'est que plus tard qu'il entrera, autodidacte, au VGIK, dans la classe de Mikhaïl Romm, qui va l'encourager à écrire.

Le cœur de L'Obier rouge est ce milieu des gens déracinés de la campagne qui, n'arrivant pas à établir de nouveaux repères dans la vie, tombent dans la criminalité du fait de cet arrachement initial  : "They are the children of the Soviet Union's whirlwind years of social change, in which tens of millions of people were torn away from their backgrounds and homes. Shukshin's heroes are the uprooted, who have left one milieu and never quite settled in another: village lorry drivers and chauffeurs, construction workers, demobbed soldiers, taxi drivers, shabashniki (odd job men), all members of a raffish social stratum which is neither of the country nor of the town.[...]"3.

Le scénario du film est tiré de la nouvelle éponyme de Choukchine, qui a été publiée dans la revue Naš Sovremennik [Notre contemporain] en 1973. Choukchine est l'un des représentants de la "prose paysanne" en URSS dans les années 1960-1980, aux côtés de Vassili Belov, Valentin Raspoutine, Fedor Abramov, Viktor Astafiev, etc. Ces écrivains sont soudés par la défense de l'environnement naturel et des valeurs rurales, leur empathie avec la nature, plaçant souvent en opposition ville et campagne et faisant accéder ces valeurs  à une dimension morale et spirituelle.

Synopsis : "Sorti d’un pénitencier, crâne rasé, sans emploi, Egor Prokudin erre dans la ville à la recherche de jours meilleurs. Une soirée avec des inconnus, une beuverie lui font voir que la ville où se terrent ses anciens complices est dangereuse pour lui. La police le guette. Il cherche refuge chez sa marraine de prison. Peu à peu, au contact de gens et choses simples et sincères, il va s’apercevoir qu’on lui offre une place pour vivre et s’intégrer. Mais ses [anciens] complices le découvrent et l’abattent" 4.

Choukchine dit de son héros : "Egor est un homme intelligent, d'un naturel bon et même, si l'on veut, talentueux. Lorsque, dans sa jeunesse, est apparue la première difficulté sérieuse, il a dévié de sa route, inconsciemment pour tourner cette difficulté. C'est ainsi qu'il est entré dans la voie du compromis avec sa conscience, la voie de la trahison. Trahison envers sa mère, envers la société, envers lui-même. Sa vie s'est dévoyée et a commencé à s'écouler selon des lois erronées, non naturelles. N'est-il pas très intéressant et instructif de déterminer les lois sur lesquelles s'est bâtie (et s'est détruite) cette vie ratée ?"5

L'Obier rouge est le dernier film de Choukchine et le plus accompli. Le cinéaste mourra d'une crise cardiaque en 1974. Auparavant, il avait réalisé  : En direct de Lebiaje (film de diplôme, 1960), Un gars comme ça (1964), Votre fils et frère (1965), Des gens étranges (1969), A bâtons rompus (1972). L'Obier rouge suscite un énorme débat, dans la presse d'abord, puis plus largement dans la société soviétique où le film crée un véritable choc. Il obtiendra un immense succès. C'est, semble-t-il, ce double thème du repris de justice sorti de camp, repenti, au destin broyé – et qui fait écho à tant de destins soviétiques – articulé à celui du lien rompu avec la terre et ses racines, qui génère un tel écho dans l'URSS des années 1970. Le thème du retour à la nature, symbole de liberté (en russe, volja et non svoboda) est omniprésent dans le film. Par trois fois, Egor, héros habituellement muré dans sa dureté, s'approche de bosquets de bouleaux pour les caresser et leur parler. Seul, le retour à la nature lui procure l'apaisement. Dans la scène où il est abattu par ses anciens compagnons de tôle et où il va retourner définitivement à la terre nourricière, l'écran est envahi par un immense champ  fraîchement labouré.

Premier prix au Festival de Bakou (1974).

(1) Interview (par Monique Portal) de Lydia Fedoseeva-Choukchina, parlant au nom de Choukchine, son époux décédé, Aspects du cinéma soviétique, “Choukchine",  n° 2, 1981, Paris, Association France-URSS , p. 21).

(2) Ibid., p. 22.

(3) Geoffrey Hosking, Beyond Socialist Realism: Soviet Fiction since 'Ivan Denisovich', Londres, Paul Elek and Granada, 1980.

(4) Jean-Loup PASSEK (éd.), Le cinéma russe et soviétique, P, L'Equerre-Centre Georges Pompidou, 1981, p. 281.

(5) Aspects du cinéma soviétique..., op. cit., p. 31.

Orientations bibliographiques :

Vasilij ŠUKŠIN, "Kalina krasnaja", Naš Sovremennik, 1973, 4, p. 86-133 ;

Geoffrey HOSKING, Beyond Socialist Realism: Soviet Fiction since 'Ivan Denisovich', Londres, Paul Elek and Granada, 1980 ; [Revue] Aspects du cinéma soviétique, “Choukchine", n° 2, 1981, Paris, Association France--URSS [documentation Iconothèque russe et soviétique] ;  Jurij TJURIN, Kinematograf Vasilija Šukšina, Moscou, Iskusstvo, 1984 ; John B. DUNLOP, “Russian nationalist themes in Soviet film of the 1970s”, The Red Screen. Politics, Society, Art in Soviet Cinema, Anna Lawton éd., Londres-New York, Routledge, 1992, p. 231-248 ; J. GIVENS, "Siberia as Volia: Vasilii Shukshin's Search for Freedom", in G. Diment and Y. Slezkine (eds), Between Heaven and Hell: the Myth of Siberia in Russian Culture, New York, St. Martin's Press, 1993, p. 17-84 ; Neja ZORKAJA, “Kalina krasnaia — zaveščanie Vasilija Šukšina", in Krutitsja, vertitsja šar goluboj : desjat' šedevrov sovetskogo kino, Moscou, Znanie, 1998, p. 139-150 ; J. GIVENS, "Vasilii Shukshin and the 'Audience of Millions': Kalina krasnaia and the Power of Popular Cinema", Russian Review, 1999, 58, p. 268-285 ; Marcel MARTIN, Le cinéma soviétique de Khrouchtchev à Gorbatchev, Paris, L'Age d'Homme, 1993, 223 p.  [sur Choukchine : p. 72-74] ;"Portrait" de Choukchine par Giovanni Buttafava, in : Bernard Eisenschitz éd., Gels et Dégels. Une autre histoire du cinéma soviétique, Paris, Centre Pompidou-Mazzotta, 2002,K p.175-176 ; David GILLESPIE, "Kalina krasnaja Red Guelderbush", in Birgit Beumers (dir.), The Cinema of Russia and the former Soviet Union, Londres, Wallflower Press, 2007, p. 161-169 ;

Fonds  Iconothèque : Voir deux émissions de la 1e chaîne de télévision soviétique sur l’œuvre de Choukchine : 1)"O Šukšine. Žil čelovek”, diffusée le 25 décembre 1988 ; 2)  "Molodoe kino" (“O fil'mah-debjutah Šukšina i Tarkovskogo"), diffusée le 27 juin 1989  ; ainsi que l'interview de Choukchine réalisée  en 1974 dans le cadre de l'émission "Kinopanorama".

Notice créée le 23 Avril 2007. Dernière modification le 22 Février 2012.

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