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Chemin de la vie (Le)
(ПУТЁВКA В ЖИЗНЬ)

Film de fiction, U.R.S.S., 1931, de Nikolaï Ekk, en noir et blanc, sonore.

Production : MEJRABPOMFILM, U.R.S.S., 1931

Durée : 95 minutes.

Version originale : russe

Sous-titres : français

Résumé :

Le Chemin de la vie est une œuvre emblématique du cinéma soviétique. C’est le premier film parlant réalisé en URSS. L’action se déroule en 1923. Des milliers d’adolescents sans abri, des jeunes délinquants organisés en bandes sillonnent tout le pays en survivant grâce au vol. La Commission pour l’Enfance auprès du Comité Central Exécutif décide de s’attaquer à ce problème. En une nuit, on rassemble 1000 enfants errants. Il s’agit de fugueurs récidivistes, qui se sont échappés de tous les centres de rééducation et dont le cas semble désespéré. L’un des inspecteurs de cette commission, Sergeev, héros au grand cœur interprété par l’acteur fétiche Nikolaï Batalov, suggère une tentative qui repose sur des méthodes pédagogiques d’avant-garde : proposer à ces enfants sans abri d’aller de leur plein gré dans une “ Commune de travail ” où ils apprendront librement un métier. L’expérience réussit et ces jeunes seront sauvés grâce à cette rééducation par le travail.

Le film cible la question, cruciale pour le jeune État soviétique, du contrôle social des enfants abandonnés et de leur réadaptation à la société. Cruciale tout au long des années vingt et encore au début des années trente. Car, suite à la Guerre civile et à la famine de 1921, on compte en Russie soviétique en septembre 1922 deux millions de besprizornye — enfants abandonnés, sans abri, sans famille, orphelins. Ce qui constitue l’un des problèmes sociaux majeurs dans la construction de l’État soviétique. Dorena Carolia a montré qu’à cette période, la prise en charge de l’enfance abandonnée est ballottée entre la sphère pénale (de laquelle elle relevait sous le régime tsariste et dont elle relèvera à nouveau à partir du milieu des années trente) et celle de l’assistance sociale.

 Le Chemin de la vie correspond précisément à une représentation volontariste  du nouveau mythe du collectivisme issu de la théorie pédagogique de Makarenko. C’est la mise en scène d’une utopie :  comment les orphelins et les jeunes délinquants peuvent-ils être réinsérés dans la nouvelle société communiste ? Le tournage a lieu à Liouberets, commune de travail de l’OGPU qui a réellement fonctionné et appliqué les méthodes pédagogiques pratiquées dans le film par cet inspecteur de la Commission pour l’Enfance Sergeev. Les jeunes acteurs non professionnels qui jouent dans le film ont eux-mêmes été placés dans cette Commune.

 En ce sens, c’est bien une œuvre de propagande, car le thème du film s’appuie sur le dogme de la construction de l’homme nouveau par le travail. On y retrouve, l’opposition entre l’ « ancien » et le « nouveau ». Le « nouveau », c’est cet inspecteur dont le charisme arrive à tirer ces  jeunes délinquants vers une vie nouvelle basée sur le travail ; c’est aussi, au sein du groupe des délinquants, ceux qui entrent posivitvement dans cette expérimentation : le chef de la bande, Mustafa; le jeune Kolja, devenu besprizornyj parce que sa mère est morte dans un accident sur la voie publique et que son père a sombré dans l’alcoolisme. L’« ancien », c’est le clan des « mauvais », une bande de truands dirigée par Djigan qui tente de faire retomber ces jeunes, transformés par la Commune de travail, dans le vol, la débauche et l’alcool. L’ « ancien », c’est aussi, dans la nouvelle société soviétique, ceux qui ont conservé une mentalité d’Ancien Régime et veulent appliquer une solution pénale pour punir ces jeunes délinquants.

Le Chemin de la vie est organisé dans une dualité bons/mauvais, dans un rapport binaire. On trouve un « tandem » de héros positifs qui comprend à la fois l’administrateur de l’État — l’inspecteur de la Commission pour l’Enfance —, et ceux parmi les jeunes qui jouent le rôle de leaders dans cette expérimentation nouvelle qu’est la Commune de Travail. À  l’opposé, on trouve les héros négatifs, les truands de l’Ancien Régime, et aussi ceux qui sont partisans d’une solution répressive contre ces jeunes. 

Deux extraits du film le mettent en lumière.  Le premier  se décompose en deux temps. Première séquence : un des jeunes délinquants les plus endurcis, Mustafa, est examiné par la commission. Il a fugué de tous les centres de rééducation et son cas est considéré comme sans solution. Le spectateur distingue clairement, au sein des membres de la dite commission, ceux qui sont favorables à un enfermement dans des institutions pénitentiaires, donc les partisans du pénal (qui constituent la minorité), et ceux qui vont dans le sens de Sergeev qui prône des méthodes pédagogiques nouvelles liées à la pedagogija. Encore une fois l’ancien et le nouveau. La voix de Sergeev proposant cette expérimentation finit par l’emporter. Deuxième séquence : les jeunes délinquants récidivistes finissent par basculer de son côté, tentés par la liberté qui leur est offerte de rejoindre cette Commune de travail de leur plein gré.

Le second extrait constitue l’apothéose du film : la construction d’une voie ferrée par ces jeunes, réalisation évidemment  emblématique de celle du communisme. Entretemps d’autres délinquants, qui ont entendu parler du succès de cette Commune, l’ont rejointe. Tous ont appris un métier manuel. Des difficultés apparaissent, Mustafa meurt d’un coup de couteau du chef du clan des mauvais, donc victime de l’ « ancien », mais ces difficultés seront surmontées et sublimées.

 


 

 

Orientations bibliographiques :

Le studio Mejrabpom ou l’aventure du cinéma privé au pays des bolcheviks, catalogue établi sous la direction d’Aïcha KHERROUBI avec la collaboration de Valérie POSENER, Paris, RMN, Les Dossiers du musée d’Orsay, n° 59, 1996, 195 p. ; Dorena CAROLI, L'enfance abandonnée et délinquante dans la Russie soviétique 1917-1937, Paris, L’Harmattan, 2004, 366 p. ; sur la Mejrabpom, voir aussi un documentaire sur Willy Munzenberg (Fonds Iconothèque russe) ; Evgenij MARGOLIT, “Le pays des enfants : le fantôme de la liberté”, Bernard Eisenschitz éd., Gels et Dégels. Une autre histoire du cinéma soviétique, Paris, Centre Pompidou-Mazzotta, 2002, p. 53-63  ; Martine GODET, “Les représentations de l'État stalinien dans le cinéma soviétique (1930-1939), La lettre de l'AREHESS, n° 29, oct-déc. 2002, p. 1-6 (documentation Iconothèque);

Notice créée le 23 Avril 2007. Dernière modification le 12 Février 2010.

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