Tourné en deux semaines au mois de mai 1986, le court métrage Ya-khha est un film d’étude réalisé par Rachid Nougmanov et Alexei Mikhaïlov, alors étudiants en réalisation et en image au VGIK. De nature complètement expérimentale, il a été réalisé sans scénario ni indication de tournage, et est le tout premier film documentaire consacré à la scène rock de Leningrad.

Le film s’articule autour des groupes phares de l’époque, sur scène ou dans des situations complètement improvisées. Ces séquences sont entrecoupées d’images de cours d’immeubles dévastés, de cages d’escaliers délabrées, d’êtres en pâmoison, de jeunes magnétisés par la contre-culture...

Ya-hha s’ouvre sur le morceau Moë pokolenie [Ma génération] du groupe Alissa, interprété en live au Leningradskij Rok Klub, le tout premier lieu dédié aux concerts rock, créé en 1981 à l’initiative du Komsomol local et destiné à contrôler en amont la production massive de musique clandestine. La chanson interprétée, emblématique de cette époque, décrit la “double vie” des jeunes artistes désireux de se soustraire à une profession pour laquelle ils n’ont pas vocation, mais contraints de s'en contenter afin d’éviter d’être taxés de “parasites sociaux”. On y voit ensuite Mike Naoumenko du groupe Zoopark errer dans des ruines et se diriger vers l'une des rares discothèques de l’époque, Nevskie Zvezdy, pour un concert des plus agités. Des extraits de l’émission "Muzykal’nyj Ring" – (émission culte en deux parties, lancée en 1986, où le public posait directement aux musiciens des questions après leur prestations scéniques), et où l’on voit Boris Grebenchtchikov – ont été insérés au montage, preuve de la lente décomposition de la censure qui pèse sur les jeunes rockers. Plus loin, Viktor Tsoï, le chanteur du groupe Kino, livre un concert intimiste dans une pièce adjacente à la chaufferie (le “Kamtchatka”, aujourd’hui devenu un club-musée) où il travaillait parallèlement à son activité de musicien (cf. ces emplois "alimentaires" dont parlait Konstantin Kintchev d’Alissa et qui permettent d'exempter les artistes de pénalités).

Tourné au jour le jour, en assumant le risque permanent d’être interpellés ou de voir le matériel confisqué, Rachid Nougmanov explique que pour obtenir les autorisations de tournage, il a dû déjouer la surveillance des autorités, écrire “une requête dans un style tout à fait komsomolien”, tout en se voyant essuyer une phrase du genre : “Pourquoi  tournez-vous avec ces fachos? On a de bons VIA ici!”. Dans ce contexte d’intolérance persistante (malgré quelques ouvertures favorables au rock), l’entreprise de Rachid Nougmanov paraît encore plus démesurée: "A aucun moment donné, que ce soit dans les années 1960 quand j’avais environ 7 ans ou au début des années 1980 quand je m'approchais de la trentaine, je n’aurais imaginé qu’un tel style de musique puisse apparaître en Russie, en URSS, et qu’il soit chanté en russe".

Le film Ya-hha a reçu le prix des journalistes FIPRESCI lors du XVe festival international du film de Moscou en juillet 1987 et établi la reconnaissance de Rachid Nougmanov en tant que réalisateur, lui permettant un an plus tard de tourner L’Aiguille (Kazakhfilm) dont Viktor Tsoï détient le rôle principal.

Groupes qui jouent dans le film : Viktor Tsoï (Kino), Boris Grebenchtchikov (Akvarium), Mike Naoumenko (Zoopark), Georgi Gourianov (Kino, Pop-Mekhanika), Konstantin Kinchev (Alissa).