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Autre révolution : Lénine, Gorki à Capri (L')

Film documentaire, Italie, 2010, de Raffaele Brunetti, en couleur/noir et blanc, sonore.

Production : B & B Film, Italie, 2010

Durée : 52 minutes.

Version originale : français

Résumé :

Maxime Gorki arrive à Capri en novembre 1906. A l'instar de nombreux intellectuels et écrivains russes, il s'est exilé de Russie à l'issue de l'échec de la révolution de 1905. Alors arrêté et enfermé dans la forteresse Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg, puis relâché grâce à la pression sur le tsar de l'opinion publique mondiale du fait de son immense popularité, Gorki est désormais un exilé politique. Entretemps, il a effectué un voyage à New York (avril-octobre 1906) pour sensibiliser l'opinion américaine et réunir des fonds pour la cause révolutionnaire russe. Il y a rencontré les intellectuels américains (notamment les écrivains Jack London, Upton Sinclair, Mark Twain).

Avec l'arrivée de Gorki, Capri devient un endroit privilégié de la diaspora russe : le philosophe et esthète Anatoli Lounatcharsky, l'économiste Vladimir Bazarov, le  futur Prix Nobel de littérature Ivan Bounine, le chanteur Fiodor Chaliapine feront de fréquents séjours chez l'écrivain. Depuis l'Italie, celui-ci est en lien avec la fraction bolchevique du Parti ouvrier social-démocrate (P.O.S.D.R.) : de Genève, le philosophe Alexandre Bogdanov (qui prône un compromis entre socialisme et religion), ainsi que de Paris, Vladimir Ilitch Lénine, son principal adversaire politique, dirigent conjointement le parti, en fréquent désaccord sur la stratégie à adopter. Bogdanov est  alors le plus charismatique des deux. Gorki veut exercer une médiation entre les deux leaders bolcheviques. Selon Vittorio Strada, le désaccord entre Bogdanov et Lénine aurait eu trois motifs : politique, philosophique, mais aussi économique (contrôle des fonds levés pour le mouvement révolutionnaire), ainsi qu'un autre, plus secret, à savoir le rejet par Bogdanov de l'ultra-totalitarisme de Lénine. Bogdanov arrive à Capri en mars 1908, quoique Lénine s'alarme de ce rapprochement entre son rival et Gorki, tout en refusant de les y rejoindre. Il finit par s'y décider. Evocation d'une photographie (célèbre) montrant Lénine et Bogdanov jouant aux échecs à Capri chez Gorki (cette photo sera falsifiée par la suite, avec la suppression de plusieurs personnages y figurant).

Gorki crée avec Bogdanov, en août 1909, ce que l'on a appelé "l'Ecole de Capri", dont l'objectif est de former des dirigeants et des agents du parti bolchevique, en particulier de la fraction bolchevique du P.O.S.D.R., mais spécifiquement d'origine et de formation ouvrière. De fait, l''Ecole de Capri a une attitude critique vis-à-vis de la ligne du parti – qui n'est pas uniquement celle de Lénine, mais dont il est le principal  artisan – : cette ligne considère les intellectuels d'origine bourgeoise, et non pas ouvrière, comme le cerveau, la force motrice du parti.

Treize ouvriers russes quittent alors la Russie en secret pour venir suivre la formation de l'Ecole de Capri. Ils sont sélectionnés par Mikhaïl Vilonov, premier représentant selon Gorki d'une intelligentsia ouvrière. De nombreux intellectuels (notamment Trotski), mais aussi des industriels, soutiennent l'Ecole de Capri. Lénine est invité à venir y enseigner, mais oppose un refus. Bogdanov donne des cours d'économie politique ; d'autres enseignent l'histoire du mouvement syndical ; Plekhanov ayant refusé la proposition, Lounatcharsky prend en charge l'histoire de l'art. Les disciplines enseignées sont les suivantes : histoire, économie, philosophie, littérature, histoire de l'art, initiation à la propagande et à l'agitation révolutionnaire. L'Ecole de Capri est considérée par le mouvement révolutionnaire russe comme le meilleur exemple d'agitation et d'avant-garde prolétaire. Elle fonctionne sans esprit bureaucratique, sur la base de la spontanéité, de l'initiative et incarne un vrai souffle de liberté, ce qui ne se retrouvera plus jamais par la suite dans l'histoire du mouvement socialiste (cf. interview V. Strada).

Depuis Paris, Lénine considère l'Ecole de Capri comme le plus grand obstacle à son objectif d'être le leader incontesté de la révolution. Il lance une campagne de diffamation dans la presse en dénonçant la vie frivole et dispendieuse de Gorki à Capri ainsi que la dilapidation des ressources  financières de la cause révolutionnaire. Car de nombreuses personnalités russe du spectacle défilent à Capri (pendant toute la durée de son séjour, Gorki est accompagné de sa maîtresse, l'actrice et ballerine russe Maria Fiodorovna Andreïeva). Lénine écrit personnellement aux élèves de l'Ecole de Capri en accusant les organisateurs de celle-ci d'avoir constitué une fraction dissidente du parti. Il va créer sa propre Ecole à Longjumeau et invite les ouvriers de Capri à le rejoindre. Certains le font. Parallèlement, Lénine convainc la direction du parti de cesser d'apporter son soutien à l'Ecole de Capri. En décembre 1909, celle-ci disparaît.

Bogdanov rentre à Paris, mais il n'est désormais plus membre du Comité central bolchevique. Lénine a réussi à faire voter son exclusion ainsi qu'une mention condamnant l'expérience de l'Ecole de Capri comme une perversion du marxisme. Gorki se retrouve seul. Néanmoins, ne pouvant se permettre une rupture avec le plus grand écrivain russe, ni la perte de son soutien, Lénine revient sept mois plus tard à Capri, tout miel. Il gagne définitivement la partie. Gorki se remet à l'écriture et rédige ses Contes d'Italie. En 1914, suite à l'amnistie décrétée par Nicolas II, il revient définitivement en Russie.

Le film s'appuie sur la correspondance de Gorki, récemment déclassifiée et largement citée. Les interviews sont riches (notamment celle de Vittorio Strada). Un très grand nombre de photographies complète l'ensemble et contribue à l'intérêt du documentaire. Néanmoins, une importance exagérée semble être accordée à la photo de Lénine et Bogdanov jouant aux échecs (évoquée ci-dessus), document instrumentalisé pour dramatiser l'ensemble.

Interviews : Vittorio Strada (slaviste, co-éditeur de : l' Histoire de la littérature russe, P, Fayard, 1990-2005), Ricardo Esposito (éditeur), Antonio Moscato (professeur, spécialiste de l'histoire du mouvement ouvrier). 

Orientations bibliographiques : Jutta SCHERRER, "Les écoles du parti de Capri et de Bologne. La formation de l'intelligentsia du parti", Cahiers du monde russe, XIX (3), juill.-sept. 1978, p. 259-284 ; id., « V poiskakh ”hristianskogo socializma” v Rossii », Voprosy filosofii, 12, 2000, p. 88-137 ;

Notice créée le 28 Juin 2012. Dernière modification le 29 Juin 2012.

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