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Ils ont combattu pour la patrie
(ОНИ СРАЖАЛИСЬ ЗА РОДИНУ)

Film de fiction, U.R.S.S., 1975, de Sergueï Bondartchouk, en couleur, sonore.

Production : MOSFILM, U.R.S.S., 1975

Durée : 160 minutes.

Version originale : russe

Sous-titres : anglais, français

Résumé :
 

Ils ont combattu pour la patrie a été réalisé par Fiodor Bondartchouk en 1975, au faîte du culte de la Grande Guerre patriotique dans l'URSS brejnévienne. Le réalisateur en a lui-même écrit le scénario d'après l'œuvre éponyme de Mikhaïl Cholokhov. Bondartchouk avait déjà tourné en 1959, en plein Dégel, un film sur la Seconde Guerre mondiale, Le Destin d'un homme (également d'après Cholokhov). Vraisemblablement son meilleur film. Entretemps, considéré comme l'héritier de Guerassimov, il est devenu un cinéaste officiel, spécialiste des grandes adaptations littéraires et mondialement connu pour son Guerre et paix (1965-1967), d'après Tolstoï. Pour ce film de guerre, véritable blockbuster réalisé à l'occasion du 30e anniversaire de la Victoire, Bondartchouk dispose d'énormes moyens.

L'action se déroule en juillet 1942 et met en scène la retraite de l'armée soviétique devant les armées nazies. Aux abords de Stalingrad exsangue, l’armée exténuée livre une lourde bataille défensive et subit d’énormes pertes. Une compagnie de simples soldats bat en retraite dans la steppe du Don. Installés à proximité d'un village, ceux-ci tentent de résister aux attaques des chars et des avions ennemis. Trop peu nombreux, ils sont laminés. Après cet exploit héroïque, les rares survivants parviennent à rejoindre le Don, réalisant l'objectif qui leur avait été fixé.

Le film repose largement sur une distribution hors pair. Le rôle principal est confié  à Vassili Choukchine, acteur à la popularité légendaire (et également réalisateur), dont c'est le dernier rôle à l'écran, celui de Pëtr Lopakhine, "joyeux luron gouailleur et cabochard" (1). Bondartchouk interprète celui d'Ivan Zviaguintsev, sans compter Youri Nikulin, Nikolaï Goubenko, Innokenti Smoktounovski, Nonna Mordioukov, etc.,  tous acteurs célèbres de la période brejnévienne. L'opérateur, Vadim Youssov, est celui de Tarkovski pour L'Enfance d'Ivan, Andreï Roublev, et Solaris. Sa couleur, expressionniste par moments, passe dans les scènes de batailles par une infinité de nuances de gris sépia.

Quoiqu'il véhicule le discours officiel sur la guerre, le film présente plusieurs particularités qui marquent précisément l'évolution de ce rapport à la guerre. La retraite de juillet 1942 constitue d'abord une  phase du conflit peu glorieuse – et jusque-là  occultée – pour l'armée soviétique, les films de guerre abordant  presque exclusivement la période qui s'ouvre avec le tournant de Stalingrad jusqu'à la victoire finale. Déplorant la retraite devant l'armée nazie, les soldats russes se disent entre eux : "Quand apprendrons-nous à faire la guerre ?" ; quant à la population, elle est clairement hostile, leur reprochant de l'abandonner sans défense aux Allemands. Le nom de Staline n'est pas prononcé une seule fois. Néanmoins, il va de soi que  l'exploit (podvig) qui va se déployer plus tard  dans le film va retourner cette position défaitiste.

Ensuite, il ne s'agit pas d'une glorification des chefs : il n'y a ni maréchaux, ni chefs militaires de renom  – autre signe de l'évolution du rapport à la guerre dans les cercles du pouvoir – mais de simples soldats. Plus encore, s'il y a bien exploit militaire et scènes de bataille au souffle épique, il y a aussi et surtout, dans la guerre qui nous est montrée, beaucoup d'humanité : la vie dans les tranchées est présentée dans son aspect quotidien de franche camaraderie, les hommes blaguent, se disputent, prennent leur maigre ration de nourriture, rêvent de vodka, draguent (Lopakhine), rafistolent leurs pauvres affaires. La peur de la mort est évoquée ouvertement. Bondartchouk ose mettre en scène un soldat en pleine dépression, qui a été abandonné par sa femme le jour de la mobilisation, enfin tous avouent craindre pour leur famille restée au village. Bref, le spectateur perçoit  tous ces hommes dans leur épaisseur de chair et de sentiments.

Autre innovation, le spectateur est confronté de manière totalement réaliste au coût humain de la guerre et à l'atrocité physique qui l'accompagne : un jeune soldat est écrasé au fond d'une tranchée par les chenilles d'un char, un autre blêmit de peur au moment d'affronter l'ennemi en direct, un autre encore est opéré sans anesthésie, le sang gicle d'abondance, des hommes se tassent dans le trou qu'ils ont eux-même creusé dans la terre, touchés à mort.

Ce film à l'approche humaniste, au plus fort du culte de la guerre, serait-il le signe qu'encore une fois, Bondartchouk a pu prendre certaines libertés par rapport au dogme officiel, comme il l'avait déjà fait pour Le Destin d'un homme ?

(1) Marcel Martin, Le cinéma soviétique de Khrouchtchev à Gorbatchev, Lausanne, L'Age d'Homme, 1993, 222 p., citation p. 87.

 


 

Orientations bibliographiques :

Denise J. YOUNGBLOOD, Russian War Films. On the Cinema Front, 1914-2005, Lawrence (KS), University of Kansas Press, 319 p., 2007 (ch. 7 : "Challenges to Stagnation, 1972-1979", p. 164-185, sur ce film : p. 168-170) ; Catherine MERRIDALE, Ivan's War, the Red Army 1939-1945, Londres, Faber and Faber, 2005, 396 p. (Trad. française par Odile Demange : Les guerriers du froid. Vie et mort des soldats de l'Armée rouge 1939-1945, P, Fayard, 2012, 512 p.).

 

Notice créée le 11 Juin 2012. Dernière modification le 15 Juin 2012.

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