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Kommunalka

Film documentaire, France, 2008, de Françoise Huguier, en couleur, sonore.

Réalisation : Françoise Huguier Scénario : (avec la collaboraton de Mano Siri) Françoise Huguier Image : Katell Djian Montage : Mathilde Muyard

Production : Les Films d'ici, France, 2008

Durée : 97 minutes.

Version originale : russe

Sous-titres : français

Résumé :

Devenue par la suite photographe de métier, Françoise Huguier avait loué autrefois en tant qu'étudiante une chambre dans un appartement communautaire de Leningrad (était-ce encore à l'époque soviétique ?). Elle rapporte alors de son séjour des photos qui sont placées en ouverture du présent documentaire. Françoise Huguier retourne à Saint-Pétersbourg dans la même kommunalka à la période post-soviétique (quand exactement, on ne sait pas, c'est en tout cas après la crise de 1998 évoquée par la majorité des locataires). Pratiquant un véritable travail d'immersion, elle y passe cinq mois, confinée avec les vingt membres de cette communauté, le monde extérieur étant refoulé, toujours hors champ – l'objectif annoncé dans les tout premiers plans du film étant de traquer les "fantômes" de la Russie d'avant.

Kommunalka représente un travail d'exception, autant sur le plan esthétique que sociologique. Partant toujours de plans très longs du couloir décoré de plantes vertes, véritable colonne vertébrale de l'ensemble, la caméra s'évade ensuite dans la cuisine, autre lieu stratégique de l'appartement communautaire. Une seule cuisine, une seule salle de bains (douche) pour vingt personnes. Dans les chambres minuscules (autour de 9 m2), la cinéaste s'arrête en gros plan sur les objets, en de longs portraits silencieux, alternant lumière et pénombre, jouant avec délicatesse des entrebaillements de portes, comme autant de façons de s'immiscer dans la vie quotidienne des résidents. Tour à tour, un par un, F. Huguier les interviewe, mais il s'agit de bribes d'interviews, qui se recoupent et forment un puzzle impressionniste. Dans la temporalité d'une journée, du café du matin jusqu'à l'installation du canapé-lit pour la nuit, défile ainsi tout un échantillon sociologique. Si une seule résidente évoque les possibilités d'entraide liées à la vie communautaire, la plupart disent leur rejet de la collectivité forcée, leur honte de se trouver dans l'obligation d'habiter une kommunalka : la génération aînée du fait d'une retraite trop maigre et de l'augmentation constante du coût de la vie, les jeunes à cause du chômage. D'où le même discours : "Au début, on  croit s'y installer pour deux, trois, cinq ans ; et puis, on y reste" [...] "Les gens sont condamnés à vivre ici, c'est terrible". "Un appartement communautaire, c'est contre-nature". Tels sont notamment les propos d'un homme de 55 ans, tranquille, originaire de Kazan, qui vit à "Piter" depuis 1992 et regrette d'avoir perdu tous les liens familiaux. Beaucoup de femmes entre deux âges racontent leur itinéraire, qui s'est soldé par la solitude. Roustam, jeune étudiant en médecine, de père afghan et de mère géorgienne, décrit son enfance, qui s'est déroulée ici dans cette même pièce, évoquant la mort de sa mère quand il avait six ans. Enfin, le choix des séquences privilégie Natacha, beauté photogénique de vingt et quelques années, au maquillage provocant, qui a perdu son travail aux Chemins de fer. Natacha incarne l'exaspération d'une jeunesse sans avenir : "Je suis la représentante parfaite de ce qui peut arriver ici, de ce qu'on peut vivre sa vie en vain". Tonitruante et rageuse, la jeune femme se lance par deux fois (dont la scène finale du film) dans une sorte de danse solitaire, équivoque, pas très éloignée du strip tease, entre exhibition et désespoir. Ces deux séquences se déroulent sur fond de rock russe, ce rock vecteur depuis les années Khrouchtchev de la révolte de la jeunesse (1).

 (1) Dans la scène finale, il s'agit du titre "Je sais qu'il va pleuvoir" (Arrival, album Prostranstvo i vremia, 1996). Dans la séquence antérieure, il s'agit du même groupe, avec le titre "Amour platonique". Enfin l'ouverture du film est accompagnée d'une chanson créée par Salvatore Adamo dans les années 1960, "Tombe la neige", mais chantée ici par Garik Sukatchev sur un rythme syncopé,  avec un accompagnement harmonica / accordéon, et dans une tonalité rauque, qui évoquent Vissotski.

Orientations bibliographiques : Katerina GERASIMOVA, “The Soviet communal apartment", in Jeremy Smith (dir), Beyond the limits. The concepts of space in Russian history and culture, Helsinki, Suomen Historialinen Seura, 1999 ; Илья УТЕХИН, Очерки коммунального быта, М, ОГИ, 2001, 214 с. ; Ekaterina AZAROVA, L'appartement communautaire : l'histoire cachée du logement, P, Ed. du Sextant, 2007, 360 p.  ;

Notice créée le 26 Avril 2012. Dernière modification le 7 Mai 2012.

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