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Jalousie des dieux (La)
(ЗАВИСТЬ БОГОВ)

Film de fiction, Russie, 2000, de Vladimir Menchov, en couleur, sonore.

Production : Studio "Genre" (MOSFILM), Goskino, Rosnefteksport, Russie, 2000

Durée : 134 minutes.

Version originale : russe

Sous-titres : français

Résumé :

Vladimir Menchov s'était illustré en 1979 avec un blockbuster, Moscou ne croit pas aux larmes, film-culte qui fit quelque 85 millions d'entrées en URSS en 1980, sans compter l'Oscar du meilleur film étranger aux USA en 1981 et de nombreux prix en Europe (voir notice sur ce film). En 2000, grâce à La Jalousie des dieux, Menchov renoue avec le succès. Il s'agit d'une comédie romantique dont l'action se déroule très précisément fin août-début septembre 1983, à Moscou : Brejnev est mort l'année précédente et Andropov est Secrétaire général du PCUS. Sonia, l'héroïne principale, est rédactrice de télévision. Le rôle est interprété, comme dans dans Moscou ne croit pas aux larmes, par l'épouse de Menchov, Vera Alentova. Sonia a un fils adolescent ainsi qu'un mari, écrivain de talent, qui  gagne mal sa vie. Dans le cadre d'un dîner professionnel où le couple reçoit à son domicile un général français (Gérard Depardieu), Sonia rencontre un interprète, André (Anatoli Lobotski), français également. Coup de foudre. Commence alors une passion torride, qui ne durera que quelques jours : le 2 septembre, un avion Boeing sud-coréen est abattu par les forces armées soviétiques ; André publie un article très critique à l'égard de l'URSS et est expulsé sur le champ.

Quelles sont les raisons du succès de ce film ? Réalisé en 2000 – la crise de 1998 n'est pas loin –, La Jalousie des dieux joue avant tout sur la nostalgie de l'ex-URSS. L'ancrage dans la fin de la période soviétique est omniprésent : l'action se déroulant en partie à Gosteleradio, on retrouve la musique du générique du journal télévisé du soir ainsi que les présentateurs-vedettes de "Vremia" ; les images d'archives des dernières années de guerre froide défilent en continu  : accords de désarmement SALT, guerre des Etoiles, rivalité avec les Etats-Unis et déclarations du président Reagan, succès des sportifs soviétiques, lutte pour le renforcement de la discipline au travail – marqueur de la période Andropov, etc. Tout évoque la grandeur désormais perdue de l'ex-URSS.

Une autre recette du succès consiste dans le choix d'acteurs fétiches, on l'a noté, même si Depardieu ne fait qu'une brève apparition. Ainsi que dans l'intrigue croisée entre l'URSS et la France. Pourtant, l'échange de stéréotypes culturels est proche du poncif : valenkitouloup, queues devant les magasion d'alimentation, descentes musclées des "boys-scouts" d'Andropov..., d'un côté ; Résistance "bidon", Sorbonne, bordels de Pigalle..., de l'autre. De fait, les films de Menchov sont destinés à un public populaire, ce que le réalisateur revendique pleinement. Il se définit comme un cinéaste qui aime la classe ouvrière, contrairement aux cinéastes intellectualisants, et adopte des prises de position tranchées contre l'"intelligentsia élitiste" (qui avait déjà éreinté ses précédents films) depuis Moscou ne croit pas aux larmes.

Le film de Menchov délivre par ailleurs un message patriotique, ce qui n'est pas contradictoire. Il suffit de prendre connaissance des opinions ultranationalistes affichées par le réalisateur sur un blog (<http://cccp-revivel.blogspot.fr/2012/01/nuzhno-ponyat-chego-hochet-narod.html>, 2 janvier 2012) pour éclairer en retour le sens de La Jalousie des dieux. En réalité, les personnages du film correspondent à deux catégories de rapport au pouvoir soviétique. On a d'un côté les héros positifs, tels l'héroïne principale et son mari. Sonia a été jusqu'à cette crise une femme fidèle et une mère aimante. Même au cœur de sa passion pour André, elle n'envisage pas, en bonne patriote, d'émigrer pour le suivre, alors qu'un ami journaliste essaie de la convaincre : "Qu'est-qu'un intellectuel peut éprouver dans ce pays, sinon le dégoût ?". C'est une femme vertueuse, horrifiée par la pornographie dévoilée par une scène du film Le dernier tango à Paris de Bertolucci (1972). Son époux écrit pour les Editions de l'Armée, prépare un manuscrit sur le régiment de chasse Normandie-Niémen et tous deux font partie de l'Association d'Amitié franco-soviétique. De l'autre côté, on a ceux qu'on aurait appelés à l'époque stalinienne des "ennemis de l'intérieur". Qui sont-ils ? Typiquement le couple d'amis chez lequel Sonia et son mari fêtent leur vingtième anniversaire de mariage. Ils habitent dans un magnifique immeuble réservé à la nomenklatura, l'homme est rapporteur au Comité Central, et tous deux, alors qu'ils profitent eux-mêmes du système, critiquent vertement les "parasites" qui "s'empiffrent",  "tous ces gérontes gâteux qui ont fait leur planque au Kremlin". A cette satire politique  s'ajoutent des rapports avec l'Occident qui dépassent la norme. Profitant de voyages à l'Ouest de par sa fonction, lui a rapporté des films X et tous deux forment un couple libre sur le plan sexuel, autre anomalie par rapport à la norme soviétique. A cette deuxième catégorie, il convient d'ajouter un certain nombre de journalistes, représentés comme hypocrites, peureux et profitant du système – soit, à nouveau, des représentants de cette même intelligentsia élitiste.

L'affaire du boeing, qui est le nœud de l'action, sert de révélateur : dans le message que véhicule le film est ainsi revendiquée une position anti-américaine dure qui n'hésite pas à légitimer la destruction de l'avion avec ses 300 passagers en tant que manifestation de force qui s'imposait de la part des Soviétiques. C'est notamment celle des Russes de la base, en particulier ceux de la génération aînée : "Pour certains [Reagan], l'URSS est l'empire du mal ; pour les autres, c'est la patrie". 

A cet égard, on peut rejoindre Elena Stichova (Iskusstvo kino, n° 9, 2000), lorsqu'elle explique que le troisième protagoniste, dans le triangle amoureux, n'est ni le mari de Sonia ni la femme d'André, mais "le monstre qui a pour nom Pouvoir Soviétique". A cette nuance près que le monstre n'en est pas un pour Menchov. Dans le même blog, Menchov dit que ceux qui (en 2012) sont contre l'histoire soviétique sont des russophobes. Ainsi, au cœur d'une aimable comédie légère célébrant  l'amitié franco-soviétique, se niche – en 2000 – une redoutable propagande d'Etat prônant un nationalisme exacerbé.

 http://cccp-revivel.blogspot.fr/2012/01/nuzhno-ponyat-chego-hochet-narod.html

Orientations bibliographiques : Andreï KOZOVOÏ, Par-delà le mur. La culture de guerre froide soviétique entre deux détentes, Bruxelles, Complexe, 2009, 310 p. ; Aleksei YURCHAK, Everything was forever, until it was no more. The Last Soviet Generation, Princeton-Oxford, Princeton UP, 2006 ;

Notice créée le 16 Avril 2012. Dernière modification le 19 Avril 2012.

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