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Mars froid
(ХОЛОДНЫЙ МАРТ)

Film de fiction, U.R.S.S. (Ukraine), 1987, de Igor Minaïev, en couleur, sonore.

Production : STUDIOS D'ODESSA, U.R.S.S. (Ukraine), 1987

Durée : 102 minutes.

Version originale : russe

Résumé : Un adolescent arrive dans une petite ville de province pour y faire ses études dans une école technique. Dans l’internat dirigé par un directeur tolérant, respectueux du corps enseignant et de ses élèves, l’ambiance générale tourne très vite au vinaigre. Une classe ayant formé un clan tient tête aux profs.

Repéré dès son film de fin d’études La Mouette, Igor Minaiev apparaît comme un cinéaste exigeant, mûr pour de solides projets. Mais sa carrière semble compromise à la suite d’un court métrage réalisé pour la Mosfilm, L’Horizon argenté, d’après un récit d’Eugène Houtsalo, vite rangé dans un tiroir. Le Studio d’Odessa lui offre une seconde chance en 1985 pour un autre court métrage, Le Téléphone. Privé du droit d’exercer pleinement son métier, Minaiev attendra 1987 pour tourner son premier long métrage, Mars froid, l’année où la Commission des conflits auprès de l’Union des cinéastes de l’URSS décide de réhabiliter les œuvres mises au placard. Ce film et celui qui suivra, Rez-de-chaussée, dans lesquels il incarne parfaitement l’esprit de la perestroïka, lui vaudront deux sélections à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes, en 1988 et 1990. Issu d’une génération arrêtée en plein élan, Minaiev revendique son appartenance à un courant traditionnel, nourri des exemples de la Nouvelle vague française, des premiers grands films de Tarkovski ou de Kontchalovski, et considère la dissidence comme un concept purement esthétique.

Mars froid est l’histoire saisissante d’un directeur d’école technique et de ses élèves, dont certains délinquants ont été liés au milieu criminel. Comme pour la plupart des premiers films, le scénario avait été imposé par la direction du Studio d’Odessa, mais Minaiev réussit à changer cette comédie en drame, en la remaniant de fond en comble, ce qui quelques années auparavant aurait été considéré comme un acte subversif. Le film s’interroge sur les bienfaits de la méthode d’autogestion des élèves à l’aune du système pédagogique d’Anton Makarenko et de son approche portant sur la sensibilisation des élèves aux relations humaines. L’établissement n’est pas une maison de redressement destinée à réinsérer des mineurs posant des problèmes de discipline et de petite délinquance, plutôt une institution dont le fonctionnement est basé sur l’autogestion et un style de vie facilitant les expériences et les changements. À travers un récit riche en séquences, le réalisateur livre une caricature du système pédagogique soviétique, à commencer par l’inévitable séance du bizutage du nouveau venu. L’adolescent vient étudier dans l’établissement dans le seul but de retrouver sa petite amie, elle-même dans un internat de jeunes filles tout proche, et de la demander en mariage. Le relâchement général ambiant est dû au rapport de forces existant entre le personnel éducatif et l’ensemble d’une classe formant un clan, une équipe, dont le principe est basé sur la solidarité, la non-dénonciation, le rejet de tout accommodement. Le caractère du directeur est apparemment conciliant, mais au fur et à mesure que les événements changent en défaveur de l’institution, il s’affermit. Il menace de livrer à la justice l’élève Zintchenko qui a commis un méfait et est accusé de vol de magnétos. En revanche, son collègue Nicolas Mykytiouk, dont le rôle est superbement interprété par Nikolaï (Mykola) Tokar, est un véritable maître charismatique, éducateur sympa parfois spartiate, allant même jusqu’à braver l’inspection académique. La séquence de l’excursion des élèves à Poltava, pendant laquelle une éducatrice inspirée fait l’éloge de Pierre le Grand à la bataille de 1709 contre les Suédois, est révélatrice de la mentalité pédagogique de l’époque. Cependant, les élèves ne se bousculent pas face au monument, et ne pensent qu’à draguer des lycéennes présentes. Si on la compare à une séquence semblable dans le film Le Pissenlit en fleur d’Alexandre Ihnatoucha, tourné cinq ans plus tard, cette ballade touristique reste quelque peu décalée, sans pour autant heurter la fierté grand-russienne. Sur le plan technique, où l’on découvre sa passion pour les effets de lumière, le réalisateur émaille volontiers le film de fermetures et d’ouvertures à l’iris, technique  délaissée, mais pas obsolète pour une comédie dramatique crânement réalisée.

[Notice rédigée par Lubomir Hosejko]

Orientations bibliographiques : Numéro  consacré à la jeunesse au cinéma, Aspects du cinéma soviétique (Revue publiée par l'Association France URSS), n° 7, 1985, 47 p. + filmographie ; Numéro consacré à la perestroïka au cinéma, Aspects du cinéma soviétique, n ° 9, 1987/1988, 79 p. ; Peter SHEPOTINNIK, “With Perestroika, without Tarkovsky", in The Red Screen. Politics, Society, Art in Soviet Cinema, Anna Lawton éd., Londres-New York, Routledge, 1992, p. 331-339 ; Anna LAWTON, Kinoglasnost. Soviet Cinema in our Time, Cambridge, Cambridge UP, 1992, 288 p. ; Lubomir HOSEJKO, Histoire du cinéma ukrainien, Die, Éd. A DIE, 2001, 445 p. ;

Notice créée le 3 Avril 2012. Dernière modification le 3 Avril 2012.

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