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A la rencontre d'Andrei Tarkovski
(Meeting A. Tarkovsky)

Film documentaire, États-Unis, 2008, de Dmitri Trakovsky, en couleur, sonore.

Réalisation : Dmitri Trakovsky

Production : Trakovsky Films, États-Unis, 2008

Durée : 90 minutes.

Version originale : anglais

Sous-titres : français

Résumé :

Le jeune cinéaste Dmitri Trakovsky, dont les parents ont émigré d'URSS en 1987, lorsqu'il avait deux ans, pour s'installer aux Etats-Unis, dispose d'un héritage culturel dont Andreï Tarkovski fait partie. Il s'interroge, tout au long de ce film à la démarche originale, sur le sens de la phrase que Tarkovski  a dite et écrite à de nombreuses reprises : "La mort n'existe pas". Cela passe par un certain nombre de questionnements philosophiques que Trakovsky propose en exergue de son documentaire, sur la permanence de l'œuvre dans le souvenir de ceux qui restent, sur la  transcendance, etc. Le jeune réalisateur part à la recherche du cinéaste "en considérant sa vie posthume" dans toutes les traces que celui-ci a laissées derrière lui. Cette quête l'emmène dans plusieurs voyages, à la suite de Tarkovski : en Italie d'abord, où fut tourné Nostalghia, puis en Suède (Le Sacrifice), et enfin en Russie. Son film se présente comme une série d'interviews qui offrent autant de témoignages sur Tarkovski, dont certains apportent réellement un air neuf. On déplorera néanmoins le ton très hagiographique de l'ensemble.

Interviews :

- Viacheslav Ivanov, linguiste, ayant bien  connu Andreï Tarkovski et son père Arseni. Ivanov évoque les écrits de Tarkovski sur le cinéma : "Qu'est-ce que le cinéma pour lui ? Que doit être le cinéma ? Imaginez un film documentaire très long, tourné durant toute la vie d'un homme, fixant chaque péripétie de sa vie tout entière. En soi, ce film n'est pas un film artistique (iskusstvennoe kino), ce n'est qu'un matériau brut. Mais c'est avec ce matériau que le réalisateur travaille. Il élimine tout ce qui n'est pas nécessaire. La majeure partie du travail, c'est de se débarrasser du superflu. Pour moi, on retrouve la même idée chez Pasolini. Les idées de Pasolini sur le cinéma recoupent souvent celles de Tarkovski. Dans un article, Pasolini explique que le montage est au  film ce que la mort est à la vie humaine : la mort fait apparaître ce qu'a été la vie d'une personne. Dans le cinéma, on fait la même chose en utilisant des moyens cinématographiques. Je trouve que c'est très proche de l'idée de Tarkovski". Selon Tarkovski (propos rapportés par V. Ivanov) : "Nous vivons dans la saleté et le sang de la Russie d'aujourd'hui, et de l'histoire russe, et de cette saleté, nous devons extraire un acte authentique". V. Ivanov : "C'était son projet, il l'avait clairement formulé. [...] Dans ce sens, je donne en partie raison à ceux qui pensent que les films tournés en exil sont moins caractéristiques de son œuvre, je parle de Nostalghia et du Sacrifice. Le matériau et l'intention restent profondément liés à l'histoire russe, à la tragédie de la Russie, à la Russie elle-même. Tous ses films symbolisent le destin de la Russie. Mais avec un matériau étranger, cette idée était plus difficile à restituer".

- Angelo Perla, gardien du Musée de Monterchi, où se trouve la Madona del Parto, fresque peinte par Piero della Francesca et célébrée dans Nostalghia.

- Domiziana Giordano, interprète du rôle de l'héroïne principale dans Nostalghia.

- Donatella Baglivo, réalisatrice d'un documentaire sur Tarkovski, intitulé Un poeta nel cinema (1984).

- Andrei Andreïevitch Tarkovski,  fils du deuxième mariage de Tarkovski avec Larissa Egorkina. Andreï Andreïevitch évoque la difficulté de la séparation d'avec son père, le poids de la solitude et de l'opprobre dont sa mère et lui-même ont eu à souffrir, devenant les otages du pouvoir soviétique à partir du moment où Tarkovski partit tourner Nostalghia en Italie (1983). Il  avait alors onze ans. Comme on le sait, ce n'est qu'en 1986 que sa mère et lui-même purent enfin rejoindre le cinéaste à Paris. Extrait de Stalker : "La faiblesse est grande et la force n'est rien. Cœur sec et force sont les compagnons de la mort. Malléabilité et faiblesse expriment la fraîcheur de l'existant".

- Le Prof. Fabrizio Borin, spécialiste du cinéma de Tarkovski, revient sur cette même idée de faiblesse : "De la dimension poétique de son cinéma émerge l'idée que la faiblesse est une force et que la force n'est rien. Le docile est en réalité le fort. En réalité, le fort exerce un pouvoir qui repose seulement sur l'argent, la domination, ou bien simplement sur la conquête de quelque chose. Le thème de l'individu est également cher au cœur de Tarkovski. L'individu en ce qu'il appartient à une société malade. La société occidentale, pour ce cinéaste russe, est malade. Elle est malade parce qu'elle a mis l'accent sur la centralité de l'homme, au lieu de considérer que l'homme est un des éléments qui font la pluralité des sujets dans l'univers. Les orphelins, les malades, les personnages en crise – le cinéma de Tarkovski est un cinéma de la crise – ouvrent sur des dimensions qui, pour lui, ne sont pas considérées de façon adéquate. Par exemple, un personnage de Nostalghia, Domenico, [...] récite une longue diatribe contre 'la société du bien-être', qui est, je le répète, une société malade. Et cette maladie est l'expression d'une certaine démence. A cette pseudo-raison, Tarkovski oppose une certaine 'déraison', celle de la folie [...][d'un fou qui veut accomplir un geste absolument inutile]".

- Manuel Cecconello, cinéaste indépendant, fortement influencé par Tarkovski.

- Krzysztof Zanussi, cinéaste.

- Michael McCormick, moine orthodoxe.

- Franco Terilli, producteur.

- Michel Leszczylowski, monteur du film Le Sacrifice. "Tarkovski était au service de l'œuvre, un serviteur humble". Lesczylowski cite une phrase du réalisteur Ingmar Bergman à propos de Tarkovski (sans se remémorer la source précise), selon laquelle "Tarkovski se déplaçait librement dans les pièces, dont lui, Bergman, pouvait à peine ouvrir la porte, pour jeter un œil à l'intérieur".

- Erland Josephson, acteur suédois, interprète des rôles principaux dans Nostalghia et Le Sacrifice.

- Ilya Khrjanovski, fils du célèbre réalisateur de films d'animation Andreï Khrjanovski, né en 1973, est le jeune réalisateur du film Quatre (2006), œuvre controversée qui a suscité une forte polémique en Russie. A propos de Tarkovski : "Oui, la même réalité existe, et continuera d'exister sans Tarkovski. Mais le sens mystérieux de son art, ou plutôt de tous les arts, réside dans l'interaction entre cette réalité et le regard de l'artiste".

- Grigori Pomerants, philosphe et célèbre dissident russe à l'époque soviétique : "De tout temps, l'homme s'est fixé pour but d'atteindre cette profondeur intime de son cœur, dans laquelle il est en contact avec l'unité divine, l'esprit universel, dont parlent Saint Grégoire de Nysse et d'autres penseurs. Ces termes sont souvent très conventionnels, mais ce que je veux dire, c'est qu'il y a en nous plusieurs strates. L'apôtre Paul distingue seulement l'homme extérieur et l'homme intérieur, tandis que des mystiques comme Ekhart et Tauler  considèrent l'homme extérieur, l'homme intérieur et l'homme 'profond'. C'est dans cette strate profonde que notre âme, telle une baie, rejoint l'océan du Divin. Une baie a des rivages. Ces rivages la contiennent. En même temps, elle est ouverte sur l'océan de la Création, qui s'étend au-delà des limites qui la retiennent. Chaque homme a pour but de se libérer de ces limites afin de rejoindre, comme une baie, l'océan spirituel dans lequel baigne toute chose sensible. Voilà à quoi Andreï Tarkovski aspirait. En tant qu'artiste, il surpassait son père qui, à mon avis, n'avait pas cette énergie pour atteindre les profondeurs. Pour moi, dans ce sens, Andreï surpassait Arseni. Andreï avait  une grande énergie pour se mouvoir dans les profondeurs. Mais il a toujours reconnu qu'il se sentait prisonnier des passions, et qu'elles le détournaient de ce but. Cela apparaît très franchement dans Le Miroir, où il répète qu'il a souffert, enfant, lorsque son père a quitté sa mère. Il a lui-même été prisonnier des passions toute sa vie. Ils étaient tous deux très passionnés. Ses passions l'ont éloigné de ses buts spirituels intimes. Le Miroir est l'un des rares films dédiés au repentir, une chose qui manque cruellement à notre pays. Trop souvent, les gens sont satisfaits d'eux-mêmes, s'apitoient sur leur sort et critiquent les obstacles sur leur chemin mais pas leurs obstacles intérieurs. Le cinéma, comme Tarkovski l'a montré, possède un vaste potentiel pour emmener vers les profondeurs. Mais le cinéma et la télévision exploitent peu ce potentiel. Nous voyons rarement à l'écran quelque chose qui enrichit notre âme, et ne la ramène pas vers la surface, vers le champ des passions mesquines. Bien sûr, l'art ne peut ignorer les passions, mais l'art le plus élevé montre que la passion et l'esprit, débarrassé des passions, forment un champ de bataille. Le champ d'une bataille entre les profondeurs et la surface".

- Paola Volkova, Fondation Tarkovski (Moscou).

Extraits des films de Tarkovski (dans l'ordre où ils sont présentés dans le documentaire) : Andreï Roublev (1966), Nostalghia (1983), Le Sacrifice (1986), Stalker (1979), Le Miroir (1975).

Orientations bibliographiques :

Sur Tarkovski, voir essentiellement : A. TARKOVSKI, Le temps scellé, Paris, Ed. de l’Etoile/Cahiers du Cinéma,1989 ; A. TARKOVSKI, Journal 1970-1986, P, Cahiers du Cinéma, 1993, 478 p. ; Antoine de BAECQUE,  Andrei Tarkovski, P, Cahiers du Cinéma, coll. "Auteurs", 1989 [reed. 2002, 128 p.] ; Andreï TARKOVSKI, Œuvres cinématographiques complètes, trad. André Markowicz, Nathalie Armagier, Sophie Benech et al., Paris, Exils littérature, 2001, 2 vol. ; Andreï TARKOVSKI, « De la figure cinématographique », Positif, n° 249, décembre 1981.

Sur ce documentaire : Marie-Anne SORBA, "Tarkovski par Trakovsky (ou l'inverse)", Regard sur l'Est, www.regard-est.com/home/breve_contenu.php?id=893 ;

Notice créée le 1 Février 2012. Dernière modification le 13 Juin 2012.

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