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Mosfilm. Les chefs-d'œuvre du cinéma russe
(Mosfilm. Russlands legendäre Traumfabrik)

Film documentaire, Allemagne, 2011, de Elisabeth Weyer, en couleur/noir et blanc, sonore.

Production : HESSICHER RUNDFUNK, ARTE, Allemagne, 2011

Durée : 52 minutes.

Version originale : allemand

Doublage : français

Résumé :

Documentaire sur l'activité des studios Mosfilm à la fin des années 2000.

Créés en 1924 (mais n'ayant pris le nom définitif de Mosfilm qu'en 1935) et s'étendant sur une surface de 34,5 hectares sur les monts Lénine à Moscou, les studios Mosfilm sont une ville dans la ville. Aujourd'hui, ayant échappé à la privatisation, cette immense superficie reste la propriété de l'Etat, ce qui a gardé Mosfilm à l'abri des convoitises immobilières. 13 des studios qui les composent sont un héritage soviétique ; seul le 14e est plus récent. Directeur général de Mosfilm depuis 1998, le réalisateur Karen Chakhnazarov sert de fil conducteur à ce film de qualité inégale, émaillé de ses interventions.

Insistant d'abord sur la modernisation et la remise à niveau technologiques des locaux et des équipements entreprises depuis sa prise de fonction, Chakhnazarov reconnaît ensuite que le groupe Mosfilm produit peu de films aujourd'hui pour son propre compte (un film tous les deux ou trois ans, "à l'initiative" du directeur général) et se concentre sur ses activités de prestations de service en louant ses studios. En découle – ajoute le commentaire – une baisse de cette créativité qui avait fait la réputation de Mosfilm.

Grâce à ces progrès technologiques, une restauration du patrimoine cinématographique soviétique a pu être effectuée par le biais de la numérisation des films. Suit alors un survol extrêmement succinct et convenu de l'histoire du cinéma soviétique, tel qu'il a été réalisé à Mosfilm. Ne sont évoquées que des scènes célébrissimes de  films célébrissimes, tel Le Cuirassé Potemkine de Sergueï Eisenstein (1925), les comédies hollywoodiennes de Grigori Alexandrov, comme Volga-Volga (1938), "film préféré de Staline". La question de la censure est expédiée en deux phrases par le réalisateur Vladimir Menchov à propos de Andreï Roublev (1966) d'Andreï Tarkovski. La succession des poncifs se poursuit : après une très longue évocation de la scène du bal du Guerre et paix de Sergueï Bondartchouk (1965) et de Moscou ne croit pas aux larmes (Vladimir Menchov, 1979), on termine par la scène des bouleaux de Quand passent les cigognes (Mikhaïl Kalatozov, 1957). Voilà le défaut majeur de ce documentaire que  de ne montrer que quelques extraits de films que tout le monde connaît, alors que c'était l'occasion de faire découvrir au public occidental la richesse exceptionnelle du patrimoine de Mosfilm.

Quoique Chakhnazarov s'excuse à plusieurs reprises de cette évolution incontournable, la tendance générale à Mosfilm est à la recherche de rentabilité : les coûts étant très élevés pour les producteurs de cinéma, il a été décidé de privilégier la télévision, alimentée par Mosfilm en variétés, clips, soaps, talkshows, etc. La Russie est devenue aujourd'hui le premier producteur de séries TV au monde ! Mosfilm profite ainsi de l'essor de la production télévisuelle nationale qui a permis son retour en force. Interview du critique de cinéma Daniil Dondureï, qui stigmatise cette évolution. La télévison produit aussi quelques documentaires, mais peu. Quant au cinéma, les productions commerciales sont majoritaires.

On passe ensuite à la réception par le public (russe) du cinéma russe contemporain : on observe un rejet au profit des blockbusters américains – ajoutons que ce phénomène n'est pas nouveau et qu'il date du début de la perestroïka. Puis à la question des subventions accordées par l'Etat au cinéma : le gouvernement russe financerait tous (?) les films à hauteur de 30 %, dans le but avoué d' "exercer un rayonnement économique et culturel" – s'agirait-il là d'un objectif qui se substituerait à l'ancienne propagande d'Etat soviétique ?

La deuxième partie du documentaire semble plus libre dans son propos. Voici un extrait du film La Salle n° 6, réalisé en 2009 à Mosfilm par K. Chakhnazarov, d'après Tchekhov – film d'auteur s'il en est, soit une exception qui confirme la règle. Rappelons que le cinéaste, assez prolifique, avait également réalisé en pleine perestroïka ce film exceptionnel qu'est La Ville-Zéro (1988). La Salle n° 6 n'est sorti que quelques jours dans les salles de cinéma russe. En Russie comme en Europe, les films d'auteurs sont cantonnés à une distribution confidentielle. Daniil Dondureï évoque  l'absence de politique officielle de soutien à ce genre de films, considérés par le gouvernement comme trop sombres et ne donnant pas une image positive de la vie en Russie. "Chez nous, les spectateurs ne sont pas prêts à regarder des films de ce type" – ajoute le critique. "Personne n'en parle à la télévision car ils ne font pas le poids face à la concurrence de films [américains] comme Avatar. Le gouvernement n'a aucune politique en la matière. Tout l'argent passe dans la production, et après, il n'y a plus d'argent pour aider les salles qui programmeraient des films de qualité ; des films que, de toute façon, les pouvoirs publics n'aiment pas parce qu'ils montrent les problèmes de la société. C'est un cercle vicieux qui, pour l'instant, n'a pas d'issue" [suite de l'interview de D. Dondureï].

Vient ensuite une séquence fort intéressante sur le cinéma d'auteur. Certains jeunes cinéastes débutants au budget limité utilisent les moyens techniques de Mosfilm pour sonoriser et mixer leur film. Long extrait du film d'Alexeï Popogrebski, Comment j'ai passé cet été (2009), accompagné d'une interview du réalisateur. Le film a reçu un financement de l'Etat (pour autant, selon le cinéaste, qu'il s'agit d'un film  d'aventures, célébrant la nature sauvage, et totalement apolitique). Cette œuvre n'a pas attiré le public russe, mais [cf. Dondureï] le public qui va au cinéma en Russie ressemble au public international, il est le même que partout au monde : il s'enflamme peu pour les films difficiles. Certains films de divertissement russes ont fait des recettes records dans le monde entier : Night Watch (2004) et Day Watch (2005), réalisés par Timur Bekmanbetov, et produits par Konstantin Ernst. Il est à noter que le cinéaste est passé sous silence, alors qu'un long développement  est consacré à  son producteur [Ernst], par ailleurs directeur général de la chaîne de télévision Rossia 1 (ex-ORT). Aujourd'hui (2011), la survie du cinéma russe, dépendant du financement de la télévision (phénomène que l'on peut constater également pour le cinéma occidental), passerait-elle par ce personnage ?

Suit un extrait du film La Lisière d'Alexeï Outchitel (2010), produit également par Konstantin Ernst. Interview du producteur sur sa "mission" (zadača) : faire des films pour la Russie, enthousiasmer la nation russe. La guerre est un thème à la mode dans le cinéma russe et serait un thème qui plaît à Vladimir Poutine. Evocation de L 'Etoile (Nikolaï Lebedev, 2002), film de guerre sur la Seconde Guerre mondiale, produit par Chakhnazarov. La Victoire de 1945 serait un point de repère pour renforcer l'idée de la nation.

Le documentaire s'achève sur le personnage de Nikita Mikhalkov en insistant sur son allégeance au régime ainsi que sur l'échec  du deuxième volet de Soleil trompeur (Soleil trompeur 2 – L'Exode), tourné en 2010 à Mosfilm. Film de guerre à grand spectacle sur la WWI,  ne lésinant pas sur le pathos, le film a coûté 12 millions d'euros, Soleil trompeur 2 serait un clin d'œil à Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg et serait fait éreinter par la critique.

La réalisatrice du film conclut sur la nécessité d'investir dans l'industrie cinématographique russe ainsi que sur l'impagsse du cinéma russe actuel, du fait de sa trop grande production de films de guerre dont le public russe est lassé, ainsi que des "pressions venues d'en haut".

 

 

 

Orientations bibliographiques :

www.kinokultura.com ; Nancy CONDEE, The Imperial Trace. Recent Russian Cinema, Oxford-Londres, Oxford UP, 2009, 352 p. ; Birgit BEUMERS, A History of Russian Cinema, Oxford-New York, Berg, 2009,328 p. [ch. 7 : "Post-Soviet Russian Cinema (1992-2000), p. 214-240 , ch. 8 : "Cinema in the Putin Era (2001-8), p. 241-259 ; Joël CHAPRON, "Vingt ans de cinéma post-soviétique", www.kinoglaz.fr  [2010] ;

Notice créée le 30 Janvier 2012. Dernière modification le 1 Février 2012.

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