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Erreur de l'ingénieur Kotchine (L')
(ОШИБКА ИНЖЕНЕРА КОЧИНА)

Film de fiction, U.R.S.S., 1939, de Alexandre Matcheret, en noir et blanc, sonore.

Production : MOSFILM, U.R.S.S., 1939

Durée : 102 minutes.

Version originale : russe

Résumé :

Film "policier" qui retrace une enquête concernant une affaire d'espionnage à la fin des années 1930. Kotchine est un ingénieur constructeur d'avions. Son patron l'autorise à emporter chez lui des plans secrets de prototypes pour les terminer. La voisine de Kotchine, Ksenia Lebedova, tout en étant sa maîtresse, aide l'espion Trivoche à pénétrer chez lui pour photographier les plans.

Il s'agit d'une œuvre hors normes, dans laquelle  Alexandre Matcheret utilise l'idéologie et la psychose de trahison comme prétexte. Tout semble atypique dans le film : Kotchine est loin d'être un Soviétique exemplaire ; les héros sont mus par des passions formidablement humaines ; la représentation presque "pateline" des agents du NKVD, qui s'avèrent notamment adorer la chasse (même s'ils sont de piètres tireurs), n'a rien à voir avec la norme habituelle des films de l'époque ; enfin, la figure de l'espion est tout simplement hallucinante... Particulièrement dans L'Erreur de l'ingénieur Kotchine, le cinéma de Matcheret est éloigné de l'esthétique soviétique officielle, "tout y est concret et chargé de sens multiples" (B.E., in Bernard EISENSCHITZ éd., Gels et Dégels. Une autre histoire du cinéma soviétique, p. 127).

Autre signe de l'indépendance d'esprit de Matcheret, le scénario a été rédigé, de même que celui du film Les Soldats des marais (A. Matcheret, 1938), par Youri Olëcha, d'après la pièce des Frères Tur et de L. Cheïnine, La confrontation. Olëcha, écrivain mis sur la touche au début de l'époque stalinienne, avait été fragilisé par la censure exercée sur le film Un jeune homme sévère (Abraham Room, 1936), dont il avait écrit le scénario (adaptation d'une de ses pièces de théâtre éponyme). Maïa Tourovskaïa note que "la première image du film est le visage en gros plan d'un vieil intellectuel. Il raconte une histoire, à la fois drôle et triste : sa femme l'a quitté pour émigrer à Paris. C'est la seule fois dans le film où l'on parle le langage coloré caractéristique d'Oleša ; la caméra recule, et nous voyons que l'homme est en train de faire sa déposition dans le bureau d'un juge, sous le portrait de Dzerjinski(1). Ce type de visage intellectuel avait alors pratiquement disparu de l'écran, et s'il apparaissait de temps à autre [...], c'était pour personnifier 'l'ennemi du peuple'. L'Erreur ne fait pas exception. Un monsieur qui s'exprime dans le langage d'Oleša est un espion" (p. 106). B. Eisenschitz insiste également sur le fait que ce même homme, que "ce  personnage symathique à la voix douce, qui s'adresse directement à la caméra, et dont les traits évoquent un intellectuel d'ancien régime, s'avèrera un espion" (p. 14). Ce vieil homme incarnerait-il Olëša lui-même dans le film – s'interroge Tourovskaïa ?

En poursuivant dans le registre de l'ambiguïté, on notera une appréciation du bien-être des Juifs dans le régime soviétique (il s'agit de la fin des années 1930) qui peut être interprétée soit de manière positive, soit sur le mode sarcastique : "Dans le dialogue d'Olëša, l'ambivalence culmine avec le plaidoyer de [l'actrice] Fania Ranevskaja ('Dans quel autre pays, sous quel autre pouvoir, le fils d'un pauvre Juif du shtetel pourrait-il devenir colonel ?'), entre propagande manipulatrice et profession de foi probablement assumée par le scénariste, la comédienne et le réalisateur (il suffit de lire Vie et destin, de Grossman, pour trouver confirmation de ce sentiment d'appartenance à la 'patrie du socialisme' chez les Juifs avant-guerre, contrastant avec l'antisémitisme étatique après 1945)" [B.Eisenschitz, Introduction, in Bernard EISENSCHITZ éd., Gels et Dégels. Une autre histoire du cinéma soviétique, Paris, Centre Pompidou-Mazzotta, 2002, note 9, p. 16]. La conclusion de ce même auteur quant au cinéma soviétique : "De période en période, il est étonnant de voir combien de films hors normes ont été faits malgré les garde-fous placés à toutes les étapes de la production"  [ibid., p. 12] – semble, dans le cas de ce film notamment, particulièrement appropriée.

(l) Il semblerait plutôt que "l'espion" se trouve dans les bureaux du NKVD et que le portrait soit celui de Staline.

 

Orientations bibliographiques : Jay LEYDA, Kino. Histoire du cinéma russe et soviétique, Lausanne, L'Age d'Homme, 1976, 533 p. [éd. originale anglaise : 1960 ; sur Matcheret, p. 288-289] ; Voir biographie d'Alexandre Matcheret dans : Bernard EISENSCHITZ éd., Gels et Dégels. Une autre histoire du cinéma soviétique, Paris, Centre Pompidou-Mazzotta, 2002, p. 127 ; Maja Turovskaja, "Des films et des hommes", in Bernard EISENSCHITZ éd., Gels et Dégels. Une autre histoire du cinéma soviétique, op. cit., p. 105-113 (particulièrement p. 106-107) ;

Notice créée le 10 Janvier 2012. Dernière modification le 18 Janvier 2012.

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