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Chtchors
(ЩОРС)

Film de fiction, U.R.S.S. (Ukraine), 1939, de Alexandre Dovjenko, Youlia Solntseva, en noir et blanc, sonore.

Production : STUDIOS DE KIEV, U.R.S.S. (Ukraine), 1939

Durée : 118 minutes.

Version originale : russe

Sous-titres : anglais, français

Résumé :

Chtchors est un film de commande : pendant la session du Comité central de février 1935, Staline, tout en épinglant sur la poitrine de Dovjenko l'Ordre de Lénine, aurait dit au cinéaste : "Et maintenant, faites-nous un Tchapaïev ukrainien !" (Aleksandr DOVŽENKO, Sobranie sočinenij v 4 t., 1, M, Iskusstvo, 1966, p. 340). En effet, en 1935, le Tchapaïev des Frères Vassiliev, imposé comme modèle du réalisme socialiste au cinéma, est considéré comme le grand triomphe de la cinématographie soviétique. Le film à venir de Dovjenko portera sur le général Nikolaï Chtchors (1895-1919), héros obscur de la guerre civile en Ukraine, que le réalisateur va transformer en légende sur injonction de Staline.

L'action se déroule en 1919. Tout le peuple ukrainien se soulève contre les Allemands et les repousse. A Kiev siège le directoire de la République populaire ukrainienne, avec à sa tête Simon Petlioura. Les troupes de Chtchors entrent à Kiev, le régiment de Bojenko libère Vinnitsa, Jmerinka et d'autres villes. Les partisans de Petlioura tiennent Berditchev, qui passe plusieurs fois d'un camp à l'autre. A la fin de l'été 1919, les Polonais passent à l'attaque. Dragomirov rassemble les forces au service de la "contre-révolution". Chtchors subit de lourdes pertes. Bojenko est tué. De nouveaux combattants remplacent ceux qui sont tombés.

Marcel Oms, ["Alexandre Dovjenko", Premier Plan, avril 1968, 130 p. , p. 54-56] décrit le synopsis du film avec son approche militante :

"Les tournesols se balancent au soleil et l'astre de leurs pétales oscille sur les longues tiges. Soudain, moissonneurs indésirables, des guerriers surgissent et brisent les soleils. La guerre déferle sur l'Ukraine. Les soldats allemands envahissent le pays rétablissant le pouvoir bourgeois et  réactionnaire de Petlioura. Devant l'invasion les paysans fuient, des groupes de partisans se forment qui vont entreprendre la guérilla, harcelant les troupes d'occupation dont la partie est liée au retour des riches nationalistes.

A l'annonce de la Révolution allemande pourtant les combattants des deux côtés cessent soudain de se haïr et les armées fraternisent prouvant la vanité des luttes fratricides. [...] Finie la guerre contre l'Allemagne commence alors la guerre civile contre l'armée blanche. L'instabilité politique est grande en Ukraine où les bolcheviques sont entrés à la demande du gouvernement de Kharkov. Même la signature (9 février 1918) d'un traité qui abandonne à l'Ukraine une partie de la Pologne occupée est sans effet puisque le même jour les bolcheviques entrent à Kiev.

Chtchors et ses hommes après des jours et des semaines de luttes meurtrières entrent dans la ville. Les mitrailleuses braquées sur les riches bourgeois ont une éloquence persuasive et l'or sort des cachettes, donné avec un masque délavé par la trouille et avec des mains tremblantes.

Mais il faut reprendre la lutte. Du côté de Berditchev les combats son acharnés et restent indécis. Pendant neuf jours sans trêve Chtchors se bat, stimule ses hommes, soutient les courages défaillants. [...]

Vinnitza, Berditchev, Roudnia. L'une après l'autre les villes tombent. Chtchors et ses troupes sont encerclés. Le fidèle Bojenko agonise. Les champs de blé flambent, l'horizon s'obscurcit des noires fumées de villes incendiées. L'ennemi déferle. Pourtant ce ne sera pas sur ces images de défaite que se refermera le film. De sa fenêtre, quelques années plus tard Chtchors verra passer l'impeccable défilé de l' Armée Rouge réorganisée".

 

Catherine DEPRETTO, ["Chtchors (1939) d'Alexandre Dovjenko", in Natacha Laurent (dir.),  Le cinéma "stalinien". Questions d'histoire, Toulouse, Privat, 2003, p. 167-179] traite notamment, quant à elle, des  problèmes que Dovjenko a connus avec la censure pendant les quelque cinq années que le réalisateur a consacrées à Chtchors, précisant bien que le film de commande ne dispensait pas le réalisateur, bien au  contraire, de franchir les différentes étapes de ladite censure. Dovjenko dut  d'abord réaliser plusieurs versions du scénario (dont onze mois pour la première), car ces différentes versions furent successivement étudiées par la Direction générale du cinéma (GUK, Glavnoe Upravlenie kinematografii), par Staline en personne, enfin par le Politburo du parti communiste d'Ukraine (1937), puis remaniées chaque fois suite à leurs propositions. Dovjenko avait déjà entamé le tournage,  et il fut obligé de retoucher encore son scénario. Entre le scénario définitif (1938) et le film – sorti le 1er mai 1939 –, il y a encore des différences. Les démêlés du cinéaste avec la censure ne s'arrêtèrent pas avec la fin du tournage, puisque Sergueï Doukelski (remplaçant à la tête du GUK de Boris  Choumiatski, fusillé en 1938) continua à exiger des retouches ; le film dut finalement sa sortie à l'intervention de Staline.

C. Depretto relève par ailleurs que "tourner dans la seconde moitié des années trente un film sur la guerre civile, qui plus est en Ukraine, relevait du tour de force". L'histoire de la guerre civile était en pleine réécriture, et tous ses grands chefs militaires en train d'être éliminés, à l'exception de Boudionny et de Vorochilov (juin 1937 : procès à huis clos des généraux de l'Armée rouge, condamnant Toukhatchevski, Jakir, etc.). "Plus largement, l'accusation de 'trotskisme', qui constituait le cœur des procès de Moscou en 1936-1938, rendait particulièrement délicate toute évocation de la guerre civile". Dès lors, Dovjenko va faire de Chtchors un combattant contre le trotskisme (ce qui correspondait à la "commande"). Prendre comme héros une figure secondaire permet par ailleurs de mettre en place un schéma historique simple  où Lénine et Staline ne sont entourés que de figures mineures.  Enfin "le choix de Chtchors permettait aussi d'introduire un autre thème politique d'actualité, le thème défensif (oboronnaja tema), la mise en  garde contre les envahisseurs étrangers, ici l'Allemagne nazie et la Pologne". On observe ainsi "un 'détournement' de l'histoire au profit de l'actualité [...], qui contribue à façonner la vision stalinienne de la guerre civile et de l'histoire de l'URSS".

Catherine Depretto met en fin en relief que le vrai sujet du film, c'est l'histoire de l'Ukraine. "Ainsi l'épisode précis que représentent la révolution et la guerre civile en Ukraine est-il intégré au  grand temps historique, voire légendaire, ukrainien qui mêle des personnages réels comme Khmelnitski, Bogoun, et des figures légendaires comme Boulba". [...] Le choix du spécifiquement ukrainien et de la tradition nationale comme stratégie d'intégration des impératifs idéologiques [...] relèguerait au second plan ce qui relève de la conjoncture politique.[...] Et, in fine, "le film, marqué indéniablement par la propagande stalinienne, donne[rait] peut-être de la situation politique ukrainienne une image qui n'est pas totalement falsifiée".

Orientations bibliographiques : Aleksandr DOVŽENKO, Sobranie sočinenij v 4 t., M, Iskusstvo, 1966-1969 ; L. et J. SCHNITZER, Dovjenko, Ed. Universitaires, 1966 ; Marcel OMS, "Alexandre Dovjenko", Premier Plan, avril 1968, 130 p. ; Barthélémy AMENGUAL, Dovjenko, Paris, Seghers, “Cinéma d'aujourd'hui", 1970 ; Jay LEYDA, Kino. Histoire du cinéma russe et soviétique, Lausanne, L'Age d'Homme, 1976, 533 p. [éd. originale anglaise : 1960] ; François ALBERA (dir), “Dossier Dovjenko", Positif, juillet-août 2000, p. 128-143 ; Lubomir HOSEJKO, Histoire du cinéma ukrainien, Die, Éd. A DIE, 2001, 445 p. ; George O. LIBER, Aleksandr Dovzhenko : a Life in Soviet Film, Londres, British Fillm Institute, 2002 ; Catherine DEPRETTO, "Chtchors (1939) d'Alexandre Dovjenko", in Natacha Laurent (dir.),  Le cinéma "stalinien". Questions d'histoire, Toulouse, Privat, 2003, p. 167-179 ;

Notice créée le 7 Décembre 2011. Dernière modification le 8 Décembre 2011.

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