Reportage ou émission de télévision, U.R.S.S., 1989, en couleur, sonore.
Production : Gosteleradio, U.R.S.S., 1989
Version originale : russe
"Pozitsia", l'une des émissions-phare de la télévision soviétique (1e chaîne) pendant la période de la perestroïka, était animée par le journaliste Genrikh Borovik. Diffusée le 11 octobre 1989 , cette série-ci est consacrée au polygone nucléaire de Semipalatinsk, le premier et l'un des principaux sites atomiques soviétiques, situé au Kazakhstan, à 130 km à l'ouest de la ville de Semipalatinsk, au sud du fleuve Irtych. Le polygone de Semipalatinsk, dont la superficie était de 18 000 km2 et qui contenait la ville militaire (secrète) de Kourtchatov, abrita des essais nucléaires militaires soviétiques à partir d'août 1949 et fut fermé en 1991 sur décision du président de la république du Kazakhstan Nursultan Nazarbaev. La somme totale des charges atomiques testées de 1943 à 1963 sur le polygone dépassent 2500 fois celle de la bombe d'Hisroshima. Les radiations libérées à Semipalatinsk depuis 1949 seraient plusieurs centaines de fois supérieures à celles liées à la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Elles auraient causé des problèmes de santé à plus de 1,5 million d'habitants de la région.
Le débat met en scène d'un côté des partisans d'un arrêt définitif des essais nucélaires, qui osent s'exprimer au nom de la population kazakhe et de l'autre des représentants de l'Etat soviétique (ministères de la Défense). Il porte exclusivement sur le danger que représentent, pour la santé de la population, les essais nucléaires, et n'aborde pas les aspects militaires proprement dits.
Commençons par les premiers protagonistes. La personnalité majeure du débat, telle qu'elle est présentée par G. Borovik, est O.O. Suleïmenov, député du peuple de l'URSS et président de l'Association (on dit alors en russe dviženie ou "mouvement") "Nevada-Semipalatinsk", créée en février 1989. Suleïmenov stigmatise notamment l'absence de sentiment de culpabilité du gouvernement soviétique à l'égard de la population kazakhe. Du côté des Kazakhs, on trouve en outre des journalistes de la télévision du Kazakhstan ainsi que certains représentants des institutions liées à la santé, par exemple le directeur de l'Institut de radiologie médicale de la république du Kazakhstan (A.F. Tsyb), qui réclame a minima la baisse du nombre et de la puissance des explosions nucléaires. Une doctoresse présidente du Comité de défense de la paix de Semipalatinsk, M.B. Zhangelova, attaque ouvertement la position du Centre en évoquant les lettres ouvertes, issues de différentes organisations sociétales, critiquant "le mur du silence". D'autres manifestations (dont des extraits filmés sont présentés au cours de l'émission) de cette évolution de la société avaient déjà eu lieu plus tôt en 1989 : 1) le 3 juillet, lors de la 1e session du Soviet suprême de l'URSS, un élu du Soviet Suprême avait déjà proposé d'arrêter les essais nucléaires (proposition repoussée sans frais par D.T. Jazov, ministre de la Défense de l'URSS) ; 2) manifestation le 6 août des habitants de Karaul, jetant de gros blocs de pierres sur un énorme amoncellement de pierres en signe de protestation. Aux arguments des partisans de l'arrêt des essais nuclaires s'ajoutent encore l'évocation du témoignage d'un témoin, de lettres envoyées à l'Association "Nevada-Semipalatinsk", des micros-trottoirs des habitants de la ville de Kourtchatov. On observe donc nettement, à cette période, l'émergence de groupes de résistance aux essais nucléaires, qui reflète l'émergence timide d'une "société civile". De son côté, le présentateur, G. Borovik, insiste sur la nécessité d'informer les populations.
En face, la position des représentants du ministère de la Défense de l'URSS va toujours dans la même direction avec deux arguments différents : 1) puisque les Etats-Unis poursuivent les essais nucléaires, par voie de conséquence, l'URSS est obligée de les poursuivre également ; 2) la seule concession pourrait porter sur la limitation de la puissance de l'armement nucléaire (toujours dans le cadre de pourparlers avec les Etats-Unis). Cette position est défendue par S.A. Zelentsov, vice-directeur de la Direction principale du Ministère de la Défense de l'URSS ; puis par V.N. Mikhaïlov, vice-ministre de l'Energie atomique et de l'Industrie.
Mais l'ensemble est plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord : il ne s'agit pas uniquement de positions tranchées entre ceux qui sont opposés aux essais nucléaires et ceux qui y sont favorables, entre Kazakhs et Russes, entre la périphérie et le centre. Il existe une nébuleuse de positions (en dehors de de celle du Ministère de la Défense) médianes : ainsi, du côté kazakh, interviennent aussi bien le directeur d'un institut de physique de l'Académie des Sciences du Kazakhstan (I.Ja. Tchastnikov), opposé aux essais nucléaires, qu'un endocrinologue (M.E. Zeltser), un juriste (M.Eleousizov), le directeur général du Centre de préservation de la Santé de la république du Kazakhstan, qui assène une avalanche de chiffres tendant à dementir les assertions des membres de l'Association "Nevada-Semipalatinsk".
Notice créée le 21 Novembre 2011. Dernière modification le 25 Novembre 2011.