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Travail d'homme
(мужская работа)

Téléfilm, Russie, 2001, de Tigran Keosaïan, en couleur, sonore.

Production : Studio 2B, Russie, 2001

Durée : 353 minutes.

Version originale : russe

Résumé :

Série télé russe, en 8 parties, qui a obtenu un immense succès en Russie en 2001. L'action se déroule pendant la deuxième guerre de Tchétchénie (1999-2000), sur le terrain tchétchène, par le biais de l'histoire de trois anciens combattants soviétiques en Afghanistan, devenus mercenaires à l'étranger au début des années 1990, et qui reprennent du service en Tchétchénie en 2000.

Parmi ces trois camarades à l'amitié autrefois indéfectible, qui ne sont appelés que par leurs surnoms, acquis lors de la guerre d'Afghanistan – "Pasetchnik" (interprété par F. Bondartchouk, héros emblématique de la série, qui tient le rôle principal), "Lechi", et "Giourza"–, le dernier a mal tourné et va se retrouver du "mauvais" côté de la guerre. Il doit en effet diriger une opération de prise d'otages  de membres de la Commission Européenne menée par les combattants tchétchènes. C'est le traître. Les deux autres protagonistes (envoyés de Moscou par les Services Secrets pour contrer l'opération) incarnent  le retour du vrai héros, de l'authentique homme russe :  costaud, viril, courageux, fidèle en amitié comme à sa patrie, avec des traits slaves. Le titre du téléfilm le rappelle : il s'agit d'un "travail d'homme".

Dans cette guerre vue du côté des Russes, les enjeux sont clairs :  l'Afghanistan tire les ficelles en finançant la guerre du côté tchétchène et alimente le terrorisme en abritant sur son sol des camps d'entraînement de terroristes et en payant des "mercenaires arabes" sur le sol tchétchène.

L'élément le plus frappant, au tout début des années 2000, est le retour en force des Services secrets et de  l'Armée russe : avant même la musique du générique (refrain nostalgique qui incite au regret de la patrie perdue, sur fond d'images de l'URSS brejnévienne), le message est asséné : "Nous étions, nous sommes et nous restons des officiers russes" – déclare Fiodor Bondartchouk. (Rappelons que Bondartchouk joue différents rôles dans diverses super-productions dont il est à la fois réalisateur et l'interprète, et qui prônent toutes le même patriotisme engagé). Le général des Services de Renseignements qui l'envoie en Tchétchénie, précise : "Le serment, pour un officier russe, est donné pour toute la vie". La motivation de l'engagement comme mercenaires de ces hommes pendant les années 1990 est claire : en tant qu'anciens officiers soviétiques (la guerre d'Afghanistan, qui  sert de matrice à l'intrigue, est au passage sublimée), ils ont été "humiliés" par le pouvoir – entendez : par ceux qui ont été responsables de la décomposition de l'URSS et de la désintégration de l'armée depuis la perestroïka jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. C'est bien l'Armée et les Services de Renseignements russes (ГРУ) qui ont  le beau rôle tout au long des 353 mn que dure le téléfilm, tandis que les hommes politiques russes (député notamment) sont représentés comme corrompus, les hommes de télévision et les journalistes  (russes) comme mous, efféminés, peureux, portant des lunettes, avec une  silhouette et des traits "occidentaux" (certains sont en outre clairement représentés comme homosexuels) ; quant à la presse et les chaînes de télévision internationales, elles sont stigmatisées comme venant s'immiscer dans les affaires intérieures russes.

Autre héros super-positif dans cet ensemble manichéen, une femme (fallait-il un pendant féminin à ces deux héros machos ?) : Natalia, journaliste de télévision au grand cœur, part à l'arraché, contre l'avis de son directeur, "sauver" le journaliste qu'elle aime, pris en otage par les Tchétchènes. Elle décidera une fois sur place d'adopter un orphelin et de se consacrer désormais à la cause des Enfants tchétchènes. On notera que, malgré les apparences, ce n'est pas sa profession de journaliste qui est l'essentiel ici puisque, d'une part, Natalia  se rend en Tchétchénie pour des motivations liées à sa vie privée, et que, d'autre part, elle agit par instinct maternel dans l'adoption de cet enfant. Soit un élément de misogynie qui corrobore l'ensemble.


 

Orientations bibliographiques :

Anne NIVAT, Chienne de guerre, Paris, Le livre de poche, 1991 ; J.B. DUNLOP, Russia confronts Chechnya. Roots of a separatist conflict, Cambridge, Cambridge UP, 1998 ; Anatoly LIEVEN, Chechnya: tombstone of Russian power, New Haven, Yale UP, 1999 ; Anna POLITKOVSKAÏA, Voyage en enfer. Journal de Tchétchénie, Paris, Robert Laffont, 2000 ; Isabelle ASTIGARRAGA, Tchétchénie. Un peuple sacrifié, Paris, L'Harmattan, 2000 ; Валерий ТИШКОВ, Общество в вооруженном конфликте: Этнография чеченской войны, М:Наука, 2001 ; Andreï BABITSKI, Un témoin indésirable, Paris, Robert Laffont, 2002 ; Comité Tchétchénie, Tchétchénie. Dix clés pour comprendre, Paris, La Découverte, 2003, 123 p.  ; Anna POLITKOVSKAÏA, Tchétchénie, le déshonneur russe, Paris, Buchet-Chastel, 2003, 185 p. ; Stanley GREENE (photos de / photographe de l'agence VU), Plaie à vif : Tchétchénie 1994-2003, Trolley, 2003, 220 p. ; Frédérique LONGUET -MARX (dir), Tchétchénie. La guerre jusqu'au dernier ?, Paris, Mille et une nuits, 2003 ; Anne NIVAT, La guerre qui n’aura pas eu lieu, Paris, Fayard, 2004 ; A. Le HUÉROU, A. MERLIN, A. REGAMEY, S. SERRANO, Tchétchénie : une affaire intérieure ? Russes et Tchétchènes dans l'étau de la guerre, Paris, Autrement, 2005, 166 p. ; Marlène LARUELLE, Le nouveau nationalisme russe. Des clés pour comprendre, Paris, L'œuvre Editions, 2010, 374 p. ;

Liens utiles :

Site du centre russe des droits de l’homme Mémorial : www.memo.ru

Site du Comité Tchétchénie : http://www.comite-tchetchenie.org/

Notice créée le 18 Octobre 2011. Dernière modification le 8 Août 2012.

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