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Einsatzgruppen, les commandos de la mort

Film documentaire, France, 2009, de Michaël Prazan, en couleur/noir et blanc, sonore.

Réalisation : Michaël Prazan Scénario : Michaël Prazan Musique : Samuel Hirsch Image : Nicolas Eprendre, Stanley Staniski Montage : Nathalie Triniac, (1e partie) Christian Girier

Production : France, 2009

Durée : 180 minutes.

Version originale : français

Résumé :

Documentaire en deux parties [ 1- "Les fosses (juin-décembre 1941)" ; 2- "Les bûchers (1942-1945)"], qui analyse les processus à l'œuvre dans l'élimination par balles ("Shoah par balles") des Juifs des régions occupées de l'est de l'Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Les Einsatzgruppen  (traduction littérale : « groupes d'intervention ») étaient des unités de police politique militarisées du Troisième Reich, créées dès l'Anschluss et chargées, à partir de l'invasion de la Pologne, de l'assassinat systématique des opposants réels ou potentiels au régime nazi et en particulier des Juifs.  Il s'agissait de véritables missions d'extermination. Ces groupes, placés sous l'autorité administrative de l'Armée, dépendaient pour les ordres opérationnels de l'«Office central de la sécurité du Reich », ou RSHA, et agissaient dans les territoires occupés de l'Est (Pologne, URSS et Pays Baltes), à l'arrière du front de l'Est. 

Dans tous ces pays (Lituanie, Lettonie, Roumanie, Ukraine), les massacres de Juifs commencent dès le début de la guerre (juin 1941). Près de 1,5 millions d'hommes, de femmes et d'enfants seront assassinés à partir de l'été 1941 par ces commandos mobiles, forts de quelque 3 000 hommes.

Depuis l'été 1940, l'occupation soviétique des Pays Baltes avait été très traumatisante pour les habitants. Le vide soudain laissé par le retrait de l'armée soviétique donna lieu à des actes antisémites perpétrés par les populations locales et que les Allemands ne réprimèrent nullement. Dès juin 1941, les organisations nationalistes, qui avaient été prévenues avant son déclenchement de l'imminence de l'invasion allemande, organisèrent des pogroms contre les populations juives, soupçonnées d'être complices du gouvernement soviétique : des milliers de juifs furent ainsi assassinés avant la fin du mois de juin 1941 à Riga (Lettonie), Vilnius, Kaunas (Lituanie), Lviv (Galicie), Zlocow (Ukraine). Les Einsatzgruppen reçurent de Heidrich l'ordre de mettre à profit toute activité antisémite. En juillet, la décision du génocide est prise par Hitler : les Einsatzgruppen organisent l'assassinat de masse des populations juives dans les territoires conquis, en ciblant désormais aussi les femmes et les enfants. Les massacres se succèdent à un rythme effréné. Dans leur tâche, les  Einsatzgruppen sont assistés de supplétifs baltes, ukrainiens, bélarusses ; ou encore de prisonniers de guerre soviétiques qui, pour échapper à la mort, intègrent les unités de tueries afin d'obtenir une ration alimentaire. 

La première partie du film montre successivement l'action des différents Einsatzgruppen : L'Einsatzgruppe C, en Ukraine et en Galicie, sous la direction de Otto Rasch, est chargé d'exterminer les Juifs à Kamenets-Podolsk  (23 600 en trois jours) : ces opérations s'effectuent sous les ordres du Höherer SS- und Polizeiführer (HSSPF) Friedrich Jeckeln ; après Kamenets-Podolsk, Jeckeln sera chargé de l'anéantissement des Juifs de Kiev (33 000 Juifs exterminés à Babi Yar, septembre 1941). Les premiers massacres de Juifs en Ukraine avaient eu lieu fin juin 1941 après la découverte de monceaux de corps d'Ukrainiens massacrés par le NKVD. L'Einsatzgruppe D a son champ d'opérations en Roumanie (extermination de 400 000 Juifs en 1941) sous la direction d'Otto Ohlendorf ; il se charge également du massacre ou de la déportation des Tziganes en Transnistrie en 1942. Peu à peu, l'utilisation du gaz va s'imposer comme alternative au meurtre par balles, notamment pour remédier aux "dommages psychiques" que ce dernier effectuait sur les bourreaux. Arthur Nebe, notamment, qui dirige l'Einsatzgruppe B, en Biélorussie, s'initie à l'usage du  gazage, déjà expérimenté en Allemagne pour tuer les handicapés. Le gaz utilisé est d'abord le monoxyde de carbone, puis plus tard le Zyklon B. En novembre 1941, Jeckeln est muté dans les Pays Baltes, à Riga, où le ghetto doit être liquidé. L 'Einsatzgruppe A est en charge des Pays Baltes. Il est dirigé par Franz Walter Stahlecker (secondé par Martin Sandberger). Collabore avec eux le Sonderkommando (division lettonne du SD allemand) Aräjs, dirigé par un Letton du même nom. Evocation du massacre de Liepaja. En décembre 1941, après six mois de massacre, c'en est fini de la Baltique : celle-ci est "Judenfrei" (Rapport Jäger).

La deuxième partie met en évidence qu'à partir de janvier 1942, grâce à un hiver aux températures extrêmes et un renfort de 250 000 hommes du côté soviétique, le rapport des forces commence à s'inverser. Néanmoins, le génocide s'intensifie. En Biélorussie, foyer de la résistance au nazisme, les Allemands sont harcelés par des petits groupes de partisans se cachant dans les forêts. En représailles, des villages sont systématiquement brûlés, rasés, et la population civile exterminée. De nouveaux contingents de "tueurs" lettons, lituaniens, ou ukrainiens – volontaires – viennent prêter main-forte aux Einsatzkommandos en Biélorussie. La motivation de ces supplétifs, lorsqu'il entrent dans les unités de police, est parfois d'échapper au Service du Travail obligatoire. Ce sont eux, et non pas les Allemands, qui tirent sur les Juifs ; on tue vieillards, femmes et enfants. Des Allemands descendent ensuite dans la fosse pour achever ceux qui sont encore vivants (interview de témoins oculaires).

La deuxième partie du film revient sur les "dommages psychiques" subis par les bourreaux (alcoolisme chronique, sadisme, démence, effondrement nerveux qui va parfois jusqu'au suicide), dont la hiérarchie allemande est consciente. Néanmoins, la liquidation des ghettos se poursuit. L'année 1942 est la plus meurtrière pour les Juifs de l'Est. A l'été 1943, les communautés juives ont disparu en grande partie. Hitler veut alors poursuivre l'anéantissement des Juifs en Europe occidentale. De fait, dès la conférence de Wannsee (janvier 1942) – qui réunit les principaux responsables de la "solution finale", auxquels est dévoilé le contenu du  Rapport Jäger –, la déportation des Juifs d'Europe occidentale vers des camps d'extermination par gaz est entérinée. Belzec, Sobibor, Treblinka, puis Auschwitz-Birkenau seront les instruments d'un assassinat de masse plus industrialisé et plus efficace que les commandos mobiles de tueries. Les techniciens du génocide tablent sur un bilan global de 11 M de victimes juives.

La défaite de Rommel en Afrique du Nord et celle de Stalingrad font basculer le cours de la guerre. Au printemps 1943, 4500 cadavres appartenant à l'élite polonaise sont découverts à Katyn. Les Allemands sont dès lors alertés du danger que représentent les fosses et mesurent l'urgence d'effacer les traces du génocide perpétré à l'Est. Le Sonderkommando 1005 est créé, sous la direction de Paul Blobel : grâce aux rapports des Einsatzgruppen  permettant de localiser les fosses, il sera chargé de supprimer les traces de leur existence (broyage des os et incinération des corps). Ce sont des Juifs que l'on contraint à faire ce travail (en les liquidant ensuite pour ne pas laisser de témoins), sauf en Biélorussie, où ce sont des prisonniers de guerre soviétiques (qui subiront le même sort). Différents sites sont évoqués sur la base du témoignage de témoins oculaires : Riga, forêt de Rumbula (Lettonie) ; Lviv, forêt de Liynitchi (Ukraine); Kaunas (Lituanie) ; Vilnius, forêt de Ponary (Lituanie).

La débâcle des armées allemandes engendre un chaos jamais atteint à l'Est. Au printemps 1944, les divisons SS opérant à l'Est sont envoyées sur le front occidental (France, Belgique, Italie) : ces unités, socialisées par la violence et le meurtre de masse, y transposent les méthodes qu'elles pratiquaient sur le front Est (exemple d'Oradour-sur-Glane). Les chambres à gaz et les fours crématoires fonctionneront jusqu'au dernières heures précédant la retraite allemande.

Les procès de bourreaux nazis et de leurs collaborateurs débutent dès 1943 à Kharkov dans cette partie de l'URSS libérée ; d'autres ont lieu partout ailleurs à l'Est ; en URSS, ils se succèderont à un rythme effréné au cours des décennies d'après-guerre. Cette section du film est très documentée. Un film d'archives montre notamment le témoignage, au Tribunal de Kiev en 1946, de Dina Pronicheva, rescapée de Babi Yar, sortie vivante d'une fosse. Procès de Friedrich Jeckeln au Tribunal de Riga (1946). Long développement sur le Procès de Nuremberg (1947) : interview notamment de Benjamin Ferencz. Jeune procureur américain à Nuremberg, Ferencz avait à l'époque découvert à Berlin les rapports des Einsatzgruppen et convaincu le tribunal d'ajouter un procès consacré aux crimes des commandos de la mort sur le front Est. 

La conclusion du film vise à mettre en évidence, à la fin des années 2000, la résurgence d'un nationalisme exacerbé dans l'ancien bloc de l'Est. Cette évolution trouve son origine dans la nécessité qu'ont ressentie les différents Pays de l'Est, après leur récente indépendance, de recouvrer leur fierté nationale, identifiée aux mouvements indépendantistes qui avaient résisté contre le communisme, puis contre le nazisme. Mais cette évolution va, notamment dans la Russie actuelle qui se remet avec difficulté du chaos et de l'humiliation de l'effondrement soviétique, jusqu'à l'émergence de groupes néonazis qui enlèvent et assassinent au hazard des gens issus des minorités de l'ex-Union soviétique.

Quant à la culture yiddish, elle a totalement disparu.

Le caractère exceptionnel de ce film est dû à la rigueur du propos historique (interviews d'historiens : Christopher R. Browning, Jürgen Matthaüs, Christian Ingrao, Martin Dean, et d'autres), au nombre et à la qualité des images d'archives, ainsi qu'aux témoignages de rescapés, de témoins oculaires, et d'anciens bourreaux, filmés avec une caméra cachée.

 

Orientations bibliographiques : Christopher R. BROWNING, Des hommes ordinaires, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Histoire », 1994 ; M. PARFENOV (dir.), Le livre noir, textes et témoignages réunis par I. Ehrenbourg et V. Grossman, Arles  : Actes Sud, 1995 ; Christopher R. BROWNING, Les origines de la solution finale, Paris, Les Belles Lettres, 2007 ; Daniel Jonah GOLDHAGEN, Les Bourreaux volontaires de Hitler. Les Allemands ordinaires et l'Holocauste, Paris, Seuil, 1997 (rééd., Points, 1998) ; Christian INGRAO, "La Shoah", Annales HSS, 58, 2, mars-avril 2003, p. 417-438 ; id., Les Chasseurs noirs. La brigade Dirlewanger, Paris : Perrin, 2006, 292 p. ; Raul HILBERG, La Destruction des Juifs d'Europe, Paris, Gallimard, coll. « Folio » Histoire, 2006, 3 vol. ;  Michaël PRAZAN, Einsatzgruppen : sur les traces des commandos de la mort nazis, Paris, Seuil, 2010, 570 p. ; Iouri SHAPOVAL, "Baby Yar : la mémoire de l'extermination des Juifs en Ukraine", in David El Kenz, François-Xavier Nérard éds, Commémorer les victimes en Europe, P, Champ Vallon, coll. "Epoques", 2011, p. 289-303 ;

Notice créée le 9 Septembre 2011. Dernière modification le 24 Septembre 2012.

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