Film documentaire, Russie, 2005, de Alexander Gutman, en couleur/noir et blanc, sonore.
Production : STUDIO DE FILMS DOCUMENTAIRES DE SAINT-PETERSBOURG, "ATELIER-FILM-ALEXANDER", Russie, 2005
Durée : 54 minutes.
Version originale : russe
Sous-titres : anglais, français
In Search of Happiness est un film documentaire d'Alexander Gutman, réalisateur russe né en 1945. Celui-ci est diplômé de l'Institut polytechnique de Leningrad (aujourd'hui Université polytechnique de Saint-Pétersbourg). In Search of Happiness a remporté le prix du meilleur documentaire au Russian Film Festival et reçu une mention spéciale du jury au Festival du Cinéma du réel à Paris en 2006[1]. Réalisé en 2005, ce film de 54 minutes suit le quotidien de Boris Rak et de Macha Rak, des Juifs qui vivent dans la région du Birobidjan, Région autonome juive créée à l'initiative de Staline en Russie orientale. Le film est en version originale, avec un double sous-titrage anglais et français (les sous-titres français ont été rajoutés). Le réalisateur n'a pas utilisé de procédé narratif (de type voix off) ; seul un court encart textuel au début du film présente la création de la Région autonome juive par Staline.
In Search of Happiness nous offre une plongée dans le Birobidjan contemporain, tout en incluant des images d'archives. La Région autonome juive (RAJ) fut crée en mai 1934 en Extrême Orient soviétique[2]. Elle est située le long de la frontière chinoise et est connue sous le nom de Birobidjan, la capitale de la région. La création de la RAJ participe d'une tentative du Parti communiste de créer une enclave territoriale où puissent s'exprimer une culture laïque juive enracinée dans le yiddish et les principes socialistes et qui puisse constituer une solution alternative à l'émigration vers la Palestine. De plus, la politique soviétique dans les années 1920 visait également à inscrire les minorités non-territoriales dans un territoire, les doter d'un territoire national, d'une enclave officielle.
On suit deux personnages principaux, Boris Rak, président de la dernière ferme collective de la région, Waldeim, et son épouse Macha. Waldeim fut le premier kolkhoze crée dans la région autonome juive en 1928. Elle est située près de la ville de Tikhonkaïa, qui fut rebaptisée Birobidjan (l'une des premières séquences du film nous présente des images d'archives où l'on voit le panneau de Tikhonkaïa remplacé par Birobidjan sur le fronton de la gare).
Le film retrace le crépuscule d'une vie et d'une région aujourd'hui en déshérence. Les jeunes générations quittent la région vers le centre économique russe ou Israël. On comprend ainsi que l'un des fils de Macha et Boris Rak, Liona, est parti vivre en Israël : parti au départ par curiosité, il ne compte pas aujourd'hui rentrer, même si les « choses sont dures pour eux là-bas » comme se lamente Macha.
Avec nostalgie mais persévérance, Boris et Macha tentent de préserver le rythme de vie paisible de la communauté locale. Ils sont comme les derniers gardiens de l'ancien kolkhoze. Boris continue les travaux de la ferme, nomme ses animaux d’après les noms de leaders politiques russes : « nous étions tristes quand nous avons envoyé Eltsine pour la viande », écrit Boris à son fils, « il nous manque à ta mère et moi ».
Macha continue de faire visiter à des lycéens le musée local, où les photos, les trophées, le buste de Lénine racontent les actualités du temps passé et les petites gloires de Waldeim. Cependant, sa mémoire lui fait parfois défaut, comme lorsqu'elle tente de se souvenir du nom des premiers tracteurs du kolkhoze à consonance anglo-saxonne.
A chaque printemps, Boris et Macha se rendent au cimetière pour rendre visite et nettoyer les tombes de leurs parents. Macha nettoie les tombes, tandis que Rak repeint consciencieusement l’étoile rouge soviétique surmontant chaque tombe. Les parents de Rak furent parmi les premiers pionniers à Birobidjan. « Quand les premiers tracteurs arrivèrent, personne ne connaissaient rien de ces machines », explique Macha, Quelqu’un devaient devenir conducteur de tracteur et on a décidé d’offrir ce travail à l’ancien garçon de ferme, Yekhil Rak ». Leurs enfants ayant quitté la région, ils se rendent compte qu'il n'y aura plus personne pour repeindre et nettoyer leurs tombes.
Les conversations de Macha et Rak sont souvent très drôles et touchantes : ils se racontent leurs souvenirs de jeunesse, leur rencontre, le service militaire de Rak, les espoirs de leurs parents installés dans le Birobidjan. S'ils expriment une certaine nostalgie pour leur jeunesse et les espoirs investis dans la ferme collective en comparaison de cette époque où l'on « investit plus dans la démolition que dans la construction », Rak dit tout de même qu'il espère que les communistes ne reviendront pas au pouvoir.
La question de l'identité juive est abordée en filigrane. Le film offre deux images de judaïté. Macha et Boris ne sont pas des Juifs pratiquants. Ils ont un crucifix dans leur salon (sujet d’une très drôle conversation entre le fermier et sa femme). Une étoile rouge soviétique surmonte les tombes des parents de Rak, et non l'étoile de David. Toutefois, un sentiment d’identité juive, d’identification subsiste. Boris Rak lisait les journaux en yiddish. Il écoute sur son vieux gramophone de vieilles chansons yiddish sur son vieux gramophone et fredonne. En contre-point, le réalisateur nous offre la vision de la judaïté du vieux rabbin de Waldeim, barbe blanche, papillotes et calotte sur la tête, personnage muet mais récurrent. Plusieurs plans le montrent marchant lentement mais surement en s'appuyant sur sa canne vers la synagogue. Il en ouvre les volets, revêt le vêtement rituel pour prier dans la solitude. Il semble une incarnation de la vulnérabilité humaine mais également de la persévérance et de la force. La judaïté s'exprime également comme en fil rouge au travers de la mélancolique musique klezmer que le réalisateur a choisi d'inclure.
Le réalisateur nous permet de pénétrer dans l'intimité des personnages : un quotidien simple, sur lequel le réalisateur pose un regard non manichéen où se mêlent à la fois une certaine tristesse ou pitié (comme à la lecture de la lettre du fermier Rak à son fils qu’il n’a pas vu depuis longtemps, et sa difficulté à exprimer ses sentiments) et en même temps une certaine forme d’admiration pour leur persévérance. Car les succès peuvent avoir un goût d'amertume. Ainsi, Boris reçoit le titre de citoyen honoraire de la région autonome juive, alors qu'au même moment, la ferme est déclarée en faillite. Il se rend à la célébration du 75ème anniversaire de l’école de Waldeim et il se rend compte qu’il est le seul de sa classe présent. Beaucoup de ses camarades sont morts.
Le film se caractérise par une alternance perpétuelle entre images d'archives en noir et blanc et plans contemporains, séquences en extérieur et intérieur, personnages « parlants » et personnages « muets », variétés de sons (bruits des animaux de la ferme, des tracteurs, de la pluie et musique klezmer) et de couleurs.
Tout d'abord, les images d’archives contrastent avec les images du contemporain. Les images d'archives qui reprennent les actualités soviétiques montrent des pionniers remplis d'espoir et d'idéalisme, tandis que les images de la réalité contemporaine tendent vers la déception et la mélancolie. Elles permettent la confrontation entre rêves passés et réalités contemporaines. Le film inclut par exemple, le discours d'une pionnière juive qui exalte en yiddish la création de la RAJ. Par l'obtention de leur propre terre, les Juifs pourront « gagner leur pain quotidien » et devenir de « véritables êtres humains ». Les images de propagande soviétique offrent l'image d'un véritable « paradis juif ». Le réalisateur inclut ainsi les images d'une ferme où il fait bon vivre, un couple radieux déjeunent au soleil avec leurs enfants souriants. Le retour au contemporain est âpre (mais très esthétique) : plan extérieur, étendue déserte, on entend un chien aboyer puis apparaît un chat dans un paysage crépusculaire.
Le documentaire occulte la dure réalité quotidienne à laquelle doivent faire face les premiers pionniers, qui contraste avec les discours publics et les promesses du gouvernement soviétique. Les premiers colons arrivent en effet dans une région inconnue à l'environnement plutôt hostile[3]. Une grande partie des terres est impropre à la culture. Le documentaire n'aborde pas les difficultés et les tribulations des nouveaux arrivants (absence de préparation, de planification pour l'installation d'une population importante, pas de logements ni de nourriture fournie, marécages, drainage tardif des terres, maladies, inondations, services médicaux rudimentaires éloignés, une partie de la population vit dans un grand dénuement). La majorité de la population juive arrivant dans la RAJ durant les premières années n'est pas issue d'une population agricole, et n'a donc pas de connaissance directe de l'agriculture. La plupart sont originaires de grandes villes de Biélorussie, et d'Ukraine (exercent les métiers de forgerons, menuisiers, charpentiers, tailleurs...). Dans ce contexte, la population durant les premières années est extrêmement mobile et cherche des créneaux en dehors de l'agriculture. De nombreux colons choisissent de repartir vers leur région d'origine ou vers les grandes villes de l'Extrême-Orient soviétique.
Le film offre également une alternance entre plans extérieurs (champs, marécages, paysage sous la pluie, bâtiments en ruines) et intérieurs (maison de Macha et Boris Rak, musée...). Les plans extérieurs expriment une certaine sensibilité poétique dans les images de la nature, les couleurs contrastant avec le noir et blanc des images d'archives. Ils offrent une présentation esthétisante de la région : images et bruits de la pluie dans les marécages, tissus colorés et draps blancs séchant à l'air libre...
Enfin, les deux personnages principaux, Boris et Macha, ont comme des sortes de doubles (deux personnages muets). Il s'agit du vieux rabbin, barbe blanche et calotte sur la tête s'appuyant sur une canne, et d'une vielle femme aux joues roses et au fichu coloré et fleurie. Ils sont comme des reflets de Boris et Macha, incarnant peut-être la vulnérabilité humaine mais en même temps la persévérance. Plusieurs séquences montrent le vieux rabbin marchant en s'appuyant sur sa canne au son du violon et de la clarinette. Là-aussi, le réalisateur réussit à combiner pathétique et noblesse. La clef du film pourrait ainsi être la vulnérabilité autant que la persévérance humaines. Victimes de la nature (pluie, mauvais temps, environnement difficile), de l'âge et des changements politiques, Rak et Macha continuent néanmoins d'avancer.
[1] Site internet du Festival du cinéma du réel : http://www.cinemadureel.org/article2201.html
[2] Robert WEINBERG, Le Birobidjan 1928-1996 : l'histoire oubliée de l' « État juif » fondé par Staline, Paris, Éditions Autrement, 2000, 135 p.
[3] Robert WEINBERG, ibid.
[Résumé rédigé par Judith Finelle, MRIAE, 2e année]
Notice créée le 16 Mai 2011. Dernière modification le 8 Juin 2012.