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Dernier voyage de Tanya (Le)
(ОВСЯНКИ)

Film de fiction, Russie, 2010, de Alexeï Fedortchenko, en couleur, sonore.

Réalisation : Alexeï Fedortchenko Scénario : (d'après la nouvelle "Les Bruants" d'Aïst Sergueïev) Denis Ossokine Interprètes : Igor Sergueïev, Youri Tsurilo, Ioulia Aug, Viktor Soukhoroukov Musique : Andreï Karasëv Image : Mikhail Kritchman Montage : Sergueï Ivanov Décors : Andreï Ponkratov, Alexeï Potapov

Production : aprilMIGpictures Film Company, 29 February Film Company, Russie, 2010

Durée : 75 minutes.

Version originale : russe

Sous-titres : français

Résumé :

L'action se déroule entièrement aux abords de la Volga – le fleuve étant l'élément central, mythique, du film – et s'ouvre dans la petite bourgade de Neïa située dans la région de Kostroma. Le dernier voyage de Tanya s'articule autour de trois personnages : Miron Alekseevitch, directeur d'une usine de papier à Neïa ; Aïst Sergeev, photographe officiel de cette usine ; enfin, Tanya, artiste-peintre et épouse adorée de Miron. Si l'action du film et les personnages sont contemporains, l'histoire puise sa source dans la culture d'un peuple mystérieux, celui des Meria. Car Aïst est également mémorialiste des traditions du peuple meria. Les Merias étaient une peuplade finno-ougrienne (ou encore ouralienne) d'origine finlandaise. Ils vivaient sur les bords de la Volga, pratiquant le paganisme, puis subirent la politique d'assimilation de la principauté de Moscovie au XVIe siècle. Ils font partie des ethnies aujourd'hui éteintes. La connaissance des Merias reste parcellaire, ainsi que l'objet de spéculations surprenantes, dont celle mettant en doute leur existence réelle. Serguei Alex. Oushakine évoque un "trompe-l'œil ethnographique", puisque le cinéaste a largement imaginé ces coutumes disparues qui ont de fait laissé très peu de traces, alors que le film repose sur l'idée que leur présence est toujours palpable. Cette dimension informative confère un élément bancal au film du fait de l'hésitation constante entre l'aspect documentaire et la fiction qui est contée. 

Après avoir acheté au marché deux passereaux (ou "bruants" [ovsjanki] selon le titre de la nouvelle dont est tiré le titre original du film), Aïst se rend à l'usine où Miron, son patron et ami, lui annonce la mort de son épouse Tanya. Miron souhaite incinérer le corps sur les lieux de leur lune de miel, puis immerger les cendres dans la Volga, selon le rite funéraire meria préconisant la crémation du corps comme retour à la mère-nature et l'immersion dans l'eau comme gage d'immortalité. Miron demande à Aïst de l'accompagner. Les deux hommes commencent par accomplir la toilette mortuaire de la jeune femme, nue, au corps souple et laiteux, dans une scène hallucinante d'érotisme "en creux". Cette sensualité est palpable tout au long du film. Outre la scène déjà évoquée, il y a, parmi d'autres, celle – fantasmée – des fils de couleur tressés dans les poils publiens des mariées merias. Puis Miron et Aïst se lancent sur la route, avec la cage de passereaux entre les passagers et le cadavre à l'arrière. D'où un road-movie d'un genre assez particulier. Ils traversent une quantité spectaculaire de ponts, tels ces ponts de bois flottant sur l'eau, comme autant de rituels de passage métaphoriques, pour se rendre, très en aval sur la Volga, au lieu où Tanya sera incinérée. Sur le mode de la réminiscence, chacun évoque durant le trajet sa relation avec la personne décédée. Le récit est mené en voix off, par Aïst, ce qui offre une distanciation, un deuxième niveau, par rapport au dialogue. Le mystère affleure par révélations successives, accompagnées d'une série de flash back. Par petites touches, on comprend que le bilan de sa vie de couple n'est pas si simple pour Miron. Aïst aurait-il aimé Tanya ? Celle-ci se serait-elle donnée à lui pour sauver son couple stérile ? Petit à petit, le spectateur entre dans ce triangle amoureux qui se dévoile avec pudeur. Par un renversement, il réalise que le personnage principal est bien celui du conteur et qu'il s'agit d'une trame autobiographique. L'imbroglio des noms en fournit la preuve : l'auteur de la nouvelle dont est tiré le scénario est Aïst Sergueïev, et l'acteur qui interprète le rôle d'Aïst est Igor Sergueïev.

Alexeï Fedortchenko est un "redoutable compositeur d'images" (1) – cadres fixes, plans séquences, mouvements lents : son chef-opérateur, Mikhaïl Kritchman, était déjà celui du Retour d'Alexandre Zviaguintsev, film phare qui a marqué la renaissance du cinéma russe en 2003. Le montage, sec, ciselé, de Sergueï Ivanov, nous offre un film "ramassé" en 75 mn. (Ivanov est le monteur de certains films d'Alexandre Sokourov). Il se pourrait bien que ce montage plus serré, plus nerveux, des films russes les plus contemporains constitue l'un des éléments déterminants de ce renouveau. Un film saturé de beauté et de mystère.

(1) Arnaud Hée, voir ci-dessous.

Orientations bibliographiques :

Aist SERGEEV (Denis OSOKIN), "Ovsjanki", Oktjabr', 10 (2008) ; Colleen BARRY, " 'Silent Souls' revives ancient Merja traditions", The Boston Globe, 4, September 2010 ; Serguei Alex. OUSHAKINE, www.kinokultura.com/2011/31r-buntings.shtml ; Arnaud HEE, http://www.allocine.fr/film/fichefilm-48063/critiques/presse/

Notice créée le 12 Mars 2012. Dernière modification le 18 Avril 2012.

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